LA TUTELLE AU MINEUR ET LE PLACEMENT SÛRETÉ
Publié dans « La Cible » de juin 2023
Le magazine officiel de l’IQPF
Auteure : Jacinthe Faucher, D. Fisc., Pl. Fin., LL. B., D.D.N.
Planificatrice financière, notaire et fiscaliste à la Société de services financiers Fonds FMOQ inc.
Étude de cas
Juniata et Álvaro sont sensibles aux intérêts de leur enfant à venir. Ils se préoccupent dès à présent des répercussions qu’aurait leur décès prématuré sur son avenir. Quelles seraient les règles applicables en l’occurrence et qui s’occuperait de l’administration du patrimoine qu’ils laisseraient à leur enfant ?
Lorsqu’une personne mineure reçoit un bien, que ce soit par donation ou succession, ou encore qu’elle est prestataire d’une indemnité gouvernementale (CNESST, SAAQ, IVAC, etc.), des mesures particulières s’appliquent au Québec. En effet, la capacité juridique d’un mineur est limitée, dans le sens qu’il ne peut être lésé, et par le fait même, ne peut, sauf pour quelques exceptions1, gérer lui-même ses biens.
C’est ici qu’entrent en jeu les règles de la tutelle. Celles-ci sont établies uniquement dans l’intérêt du mineur, dans le but de le protéger, d’administrer ses biens et son patrimoine, et de le représenter pour ses droits civils2.
Cette charge est assumée par une personne qui a la capacité juridique3 d’exercer cette responsabilité. De plus, seule une personne physique peut prendre en charge le rôle de tuteur à la personne. Toutefois, la tutelle aux biens peut, dans certains cas, être exercée par une personne morale qui y est autorisée par la loi.
La tutelle est une charge personnelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas transmissible aux héritiers advenant le décès de la personne qui l’exerce. Une reddition de compte est toutefois requise des héritiers lorsque le décès survient durant la charge tutélaire. Elle prend fin à la majorité du mineur, au décès de celui-ci ou encore s’il devient pleinement émancipé4.
Il existe trois types de tutelles au mineur :
Tutelle légale | Tutelle supplétive | Tutelle dative | |
Qui exerce ce rôle |
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Obligations envers le mineur |
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Surveillance des biens | Si la valeur des biens dépasse 40 000 $ :
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Idem à la tutelle légale. |
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Fin des obligations |
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Idem à la tutelle légale. | Idem à la tutelle légale. |
Le tuteur est soumis aux devoirs de prudence, de diligence, de loyauté et d’honnêteté dans l’administration des biens.
Il a l’administration de tous les biens du mineur, sauf ceux qui y sont soustraits, c’est-à-dire lorsqu’ils sont légués ou donnés à un mineur et administrés par un tiers5. Ainsi, les biens administrés par un liquidateur ou administrateur du bien d’autrui sont soustraits de l’administration du tuteur. Prenons l’exemple d’un testateur qui lègue tous ses biens en faveur de son enfant mineur. Son testament prévoit également une clause d’administration prolongée accordée à une autre personne, afin que cette dernière administre les biens ainsi légués à son enfant mineur. Cette clause a l’avantage d’étaler au-delà de la majorité de l’enfant l’administration des biens et, par par le fait même, la remise de ceux-ci. Elle permet également de soustraire les biens légués de l’administration de l’autre tuteur légal, soit le parent survivant.
Autre particularité : un REEE souscrit au bénéfice d’un enfant mineur n’enclenche pas les règles sur la tutelle, même si la valeur excède 40 000 $, puisqu’un REEE appartient au souscripteur du compte.
Plusieurs modifications aux règles entourant la tutelle au mineur ont été apportées récemment6. Nous les résumons ci-après.
Le Placement Sûreté
Le Placement Sûreté a été créé en partenariat avec Épargne Placements Québec et le Curateur public du Québec. Il a pour but de simplifier l’administration du patrimoine d’un enfant mineur par ses tuteurs légaux.
Avant la nouvelle loi | Depuis la nouvelle loi (1er novembre 2022) |
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Assemblée de parents, d’alliés ou d’amis |
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Hausse du seuil requis pour la dispense de certaines formalités |
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Majoration future du seuil de 40 000 $ : tous les 10 ans selon l’IPC. |
Particularités pour des actes d’administration |
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Ce seuil est passé à 40 000 $. |
Rémunération du tuteur datif | Le tribunal ne pouvait pas fixer cette rémunération au moment de l’ouverture de la tutelle. Cette demande devait être faite ultérieurement. | Fixation par le tribunal lors de l’ouverture de la tutelle ou postérieurement. Reconduction possible par le conseil de tutelle. |
Représentation en justice | Le tuteur à la personne représentait le mineur en justice quant aux biens de celui-ci, même si un tuteur aux biens avait été nommé. | Le tuteur aux biens représente le mineur en justice quant aux biens administrés. |
Règlement de différends entre tuteurs | Rien de prévu. | S’il y a plus d’un tuteur, en cas de différend entre eux, le conseil de tutelle peut faire une intervention. |
Remise de biens ou indemnité par un liquidateur, donateur ou autre | Obligation de déclarer au Curateur public et d’indiquer la valeur, si le don ou la succession excède 25 000 $. S’il s’agit d’une assurance ou d’une indemnité (SAAQ, CNESST, IVAC), l’obligation existe peu importe la valeur. | Valeur haussée à 40 000 $ et préavis au Curateur public 15 jours avant la transmission de ce bien. |
Désignation liquidateur | Pas certain. | Lorsque le mineur est seul héritier, ou que le mineur et son tuteur sont seuls héritiers, le tuteur ne peut être le liquidateur (sauf mention contraire au testament). |
Nouveaux pouvoirs du Curateur public |
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Les tuteurs supplétifs et datifs ne sont pas admissibles à un tel Placement Sûreté.
Le Placement Sûreté confère les avantages suivants :
- La reddition de compte annuelle auprès du Curateur public peut être allégée;
- La constitution d’un conseil de tutelle peut être
dispensée ; - Une sûreté n’a pas à être fournie ni maintenue.
Le tuteur légal doit déposer dans le Placement Sûreté tout l’argent qu’il gère pour l’enfant mineur. De plus, aucun retrait ne devra être effectué dans ce placement jusqu’à la majorité de l’enfant. À défaut, ce placement ne lui sera plus autorisé et les règles entourant l’administration tutélaire devront de nouveau être respectées (constitution d’un conseil de tutelle, fournir une sûreté, etc.).
Le tuteur légal devra toutefois respecter les autres formalités, notamment fournir un compte de gestion annuel à l’enfant âgé de 14 ans et plus.
Dans l’hypothèse où un mineur possède d’autres biens, par exemple un immeuble, il est possible pour le tuteur légal d’opter pour le Placement Sûreté pour les sommes d’argent qu’il administre pour l’enfant. Toutefois, le tuteur devra supporter toutes les dépenses requises pour l’entretien et la conservation de l’immeuble, et ce, jusqu’à la majorité de l’héritier. Si, par contre, il s’agit d’un bien immeuble qui génère des revenus de location, le Placement Sûreté ne lui sera pas permis.
Conclusion
La tutelle au mineur a fait l’objet de nombreux changements depuis peu. Ce régime a été simplifié quant au nombre de personnes requises pour exercer le quorum pour la constitution du conseil de tutelle. De plus, le seuil de capital requis pour la dispense de certaines formalités a été revu à la hausse et de nouveaux pouvoirs ont été accordés au Curateur public, lui permettant de moduler autrement la tutelle au mineur. La tutelle légale peut, dans certains cas, être dispensée de certaines obligations au regard de l’administration du patrimoine pour un enfant mineur lorsqu’elle opte pour le Placement Sûreté. Ainsi, le tuteur légal peut être dispensé de l’obligation de fournir une sûreté et des redditions de comptes auprès du Curateur public. Ces allègements sont généralement profitables lorsque le patrimoine à administrer est composé principalement de liquidités et que les fonds ne sont aucunement retirés avant la majorité de l’enfant. Le Placement Sûreté confère plusieurs avantages. Tout planificateur financier devrait donc connaître son existence.
1 Art. 155 à 157 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (ci-après « C.c.Q. »).
2 Art. 177 C.c.Q.
3 Art. 179 C.c.Q.
4 Art. 255 C.c.Q.
5 Art. 210 C.c.Q.
6 Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile, la Loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes, L.Q. 2020, c. 11, entrée en vigueur le 1er novembre 2022.