/  08 mai 2024

Déclencher un gain en capital avant le 25 juin : cela vaut-il la peine ?

Le Dr Simon*, omnipraticien, pratique dans un GMF de sa région. Incorporé en 2007, il a cumulé une somme importante dans sa société.

Informé des récentes modifications proposées par le budget fédéral, et notamment concernant l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital, il se demande s’il devrait procéder à des changements dans sa stratégie de gestion de ses avoirs avant la date de mise en vigueur de cette nouvelle disposition, soit le 25 juin 2024.

Rappelons les nouvelles mesures proposées par le budget fédéral[1], relativement à l’imposition du gain en capital :

  • Augmentation du taux d’inclusion des gains en capital, passant de 50 % à 66,7 %.
  • Pour les sociétés et les fiducies, ce taux s’applique pour tous revenus de gains en capital réalisés dès le 25 juin 2024.
  • Pour les particuliers, le taux de 50 % sera maintenu pour les premiers 250 000 $ de gains en capital réalisés par année. L’excédent de 250 000 $ sera imposé au taux de 66,7 %.

Le Dr Simon devrait-il déclencher un gain en capital avant le 25 juin prochain ? La réponse à cette question n’est pas évidente et dépend de la situation de chacun.

Mise en contexte

Le Dr Simon n’est pas marié ni en union de fait; il est le père de deux enfants majeurs. Il a 52 ans et entend exercer sa pratique médicale encore plusieurs années. D’un point de vue financier, Docteur Simon possède le patrimoine suivant :

Actifs
CELI 60 000 $
(cotisations inutilisées de 40 000 $)
REER 600 000 $
(aucune cotisation inutilisée)
Résidence principale 500 000 $
Actions de Dr Simon MD inc. (correspondant au portefeuille de placement détenu par la société) 900 000 $
Total actifs 2 060 000 $
Passif
Prêt hypothécaire 60 000 $
(taux d’intérêt de 2,1 %, renouvelable en mars 2025)
Valeur nette 2 000 000 $

 

Le Dr Simon est seul actionnaire de sa société, et ses actions sont votantes et participantes. Les comptes fiscaux de cette dernière (soit l’IMRTDND, l’IMRTDD, le CDC et le CRTG) sont presque nuls. Ses placements de 900 000 $ ont un prix de base rajusté de 600 000 $, ce qui confère un gain latent de 300 000 $.

Selon l’évaluation faite récemment avec son conseiller Fonds FMOQ, Le Dr Simon a un profil d’investisseur équilibré.

La hausse de l’inclusion du gain en capital n’affecte pas le patrimoine du Dr Simon pour ses biens personnels : il n’a pas à procéder à quelques transactions que ce soit puisque ses placements enregistrés (REER et CELI) ne sont pas touchés par cette mesure. Aucun changement pour sa résidence principale non plus, car elle devrait être admissible à l’exemption pour résidence principale.

Il reste à déterminer s’il serait avantageux de déclencher un gain en capital dans sa société avant la date butoir du 25 juin prochain.

La première chose à se rappeler : la transaction déclenchera le paiement de l’impôt immédiat sur le gain en capital par la société. Par conséquent, la valeur des placements dans l’entreprise sera diminuée d’une telle ponction fiscale.

La question consiste donc à choisir entre payer cet impôt dès maintenant, à taux moindre, ou laisser croître cette valeur dans la société et repousser à plus tard le paiement de la facture fiscale, à un taux d’imposition plus élevé.

C’est le taux de rendement généré sur les placements de l’incorporation qui sera un facteur déterminant pour estimer la période requise pour éponger l’impôt payé lors de la cristallisation du gain en capital. Plus le rendement est élevé, moins longue sera la période requise pour annuler l’impact de la hausse du taux d’inclusion du gain en capital par rapport à un impôt immédiat, et inversement, si le rendement est modeste, il faudra plus de temps pour atteindre cet objectif.

Dans le cas du Dr Simon, il aurait avantage à procéder à la cristallisation partielle de son gain en capital dans sa société, uniquement pour ses besoins de liquidités requis à court et moyen terme. Dans le cas du Dr Simon, il serait judicieux de cotiser pleinement à son CELI; nous lui recommandons donc de retirer la somme requise (40 000 $) pour le maximiser.

De plus, sachant qu’il renégociera son taux d’intérêt pour son prêt hypothécaire l’année prochaine, et qu’il ne veut pas payer un taux beaucoup plus élevé que ce qu’il paie actuellement, il aura avantage à matérialiser le gain en capital dans sa société dès maintenant pour rembourser son hypothèque (environ 60 000 $). Au moment du renouvellement, il pourra décider de rembourser (ou non) son prêt en fonction du nouveau taux d’intérêt, ou encore laisser croître ce placement dans sa société.

Voici la transaction telle que proposée au Dr Simon : il devrait déclencher un gain en capital dans sa société pour libérer une somme nette d’impôts de 100 000 $ (cotisations inutilisées au CELI et montant de la dette hypothécaire). À ce montant, il faut ajouter les impôts que la société doit payer sur les gains en capital, à la suite de cette transaction.

Voici le calcul détaillé :

Capital requis de la société (produit de disposition) 600 000 (soit 67 % de la valeur du placement)
Moins : prix de base rajusté (67 % de 600 000 $) 400 000
Gain en capital 200 000
Gain en capital imposable (50 %) 100 000
Impôts (50,17 %) 50 170
Moins : Remboursement au titre de dividendes[2] (30 670)
Impôts redevables 19 500
Compte de dividendes en capital (CDC) 100 000

 

Le Dr Simon pourra retirer 100 000 $ de sa société sous forme de dividendes en capital non imposables pour combler son CELI et avoir le capital requis pour rembourser son hypothèque l’année prochaine.

Pour le paiement des impôts, un montant supplémentaire de 19 500 $ devra être retiré des placements de sa société.  La valeur de cette dernière, après la transaction, correspondra à 780 500 $ (900 000 $ moins le CDC 100 000 $ moins les impôts 19 500 $), et son bilan à 1 980 500 $ au lieu de 2 000 000 $ avant la transaction.

Dans l’hypothèse où le Dr Simon décidait de ne pas déclencher ce gain en capital avant le 25 juin, mais le ferait ultérieurement, voici les impacts à venir, en présumant, pour les fins de l’exercice, d’aucune croissance d’ici le déclenchement :

Capital requis de la société (produit de disposition) 900 000
Moins : prix de base rajusté 600 000
Gain en capital 300 000
Gain en capital imposable (66,67 %) 200 000
Impôts (50,17 %) 100 340
Moins : Remboursement au titre de dividendes (61 340)
Impôts redevables 39 000
Compte de dividendes en capital (CDC) 100 000

 

À même le compte de dividendes en capital, le Dr Simon maximiserait son CELI et rembourserait son prêt hypothécaire. Aussi, pour acquitter l’impôt, la société devra retirer d’autres placements d’un montant similaire. La valeur de son entreprise, dans ces circonstances, correspondrait à 761 000 $; et son bilan, à 1 961 000 $, soit 19 500 $ de moins que la première hypothèse, équivalant aux impôts supplémentaires.

Chaque situation est différente et plusieurs facteurs doivent être analysés afin de déterminer la pertinence de déclencher un gain en capital avant le 25 juin prochain. Nous recommandons d’en discuter avec votre conseiller qui connaît bien votre situation et saura répondre à vos questions de façon personnalisée.


*Nom fictif

[1] Ces mesures ont été harmonisées par le gouvernement du Québec. De plus, nous présumons que ces dispositions entreront en vigueur comme prévu dans les propositions budgétaires du 16 avril dernier, soit le 25 juin prochain.

[2] 30,67 % du gain en capital imposable. Nous avons présumé que Docteur Simon se rémunère principalement sous forme de dividendes et une partie en salaire.

 


Jacinthe Faucher, notaire, fiscaliste et planificatrice financière – Fonds FMOQ
(mai 2024)