L’incorporation de votre pratique médicale : une stratégie financière et fiscale à considérer très sérieusement
Certains médecins s’interrogent encore au sujet des avantages d’exercer leur profession dans le cadre d’une société par actions (SPA). Pourtant, l’incorporation des professionnels est un dossier qui remonte à une quinzaine d’années, alors que les comptables agréés ont été les premiers à se voir reconnaître le droit de pratiquer en cabinet constitué en compagnie. Or, s’il y a des professionnels qui sont particulièrement bien placés pour apprécier les avantages d’une telle pratique, ce sont bien ceux de la lignée de Luca Pacioli, à qui l’on attribue la paternité du premier livre publié sur la comptabilité…
Pour un médecin, le principal avantage de l’incorporation réside assurément dans la réduction de sa charge fiscale qui peut se matérialiser :
a) en reportant l’impôt (sur les sommes laissées dans la SPA) autrement payable sur le revenu de profession qui n’est pas utilisé pour les besoins financiers de la vie courante ; ou
b) en fractionnant les revenus avec des membres de sa famille qui feront partie de l’actionnariat et dont la charge fiscale sera faible ou nulle.
De fait, la situation financière et familiale du médecin revêt une grande importance dans sa décision d’utiliser ou non une SPA dans le cadre de sa pratique professionnelle. Chaque cas devrait faire l’objet d’une analyse appropriée.
Prenons l’exemple d’un omnipraticien dont les revenus professionnels nets sont de 180 000 $1 et dont le coût de vie personnel assumé se chiffre à 65 000 $.
Situation actuelle (sans SPA)
Revenus imposables | 180 000 $ |
Contribution REER | (22 000 $) |
Impôt à payer + charges sociales2 | (65 700 $) |
Montant disponible | 93 300 $ |
Coût de vie personnel | (65 000 $) |
Surplus (épargne) | 28 300 $ |
1 Ce qui suppose des revenus bruts d’environ 220 000 $ et des dépensesd’affaires de 40 000$.
2 Régie des rentes du Québec (RRQ) – Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) – Fonds des services de santé (FSS).
Situation avec SPA
Situation de la SPA | |
Revenus professionnels après dépenses | 180 000 $ |
Salaire versé au médecin | (123 000 $) |
Charges sociales (part de l’employeur) | (5 900 $) |
Revenus imposables pour la SPA | 51 100$ |
Impôt à payer | (9 700 $) |
Montant disponible dans la SPA pour investissement | 41 400 $ |
Situation de l’actionnaire | |
Salaire reçu de la SPA par le médecin | 123 000 $ |
Contribution REER | (22 000 $) |
Impôt à payer + charges sociales (part de l’employé) | (35 400 $) |
Montant disponible | 65 600 $ |
Coût de vie | (65 000 $) |
Surplus | 600 $ |
Calcul de l’épargne potentielle accumulée sur un (1) an
Avec une SPA | Sans SPA | Avantage en faveur de la SPA | |
Contribution REER | 22 000 $ | 22 000 $ | |
Épargne personnelle | 600 $ | 28 300 $ | |
Épargne dans la SPA | 41 400 $ | ||
Total | 64 000 $ | 50 300 $ | 13 700 $ |
Le montant de 41 400 $ laissé dans la SPA représente un report d’impôt. En effet, au moment du retrait de cette somme, un impôt devra être payé par le particulier, et ce,
à un taux d’imposition généralement moindre. Dans le cas présent, on comprend que ce montant n’est pas requis pour assumer les dépenses courantes actuelles.
D’autre part, si le fractionnement des revenus est possible avec les membres de la famille dont le taux d’imposition est faible ou nul, il est possible d’en tirer profit.
Par exemple, en versant le montant de 41 400 $ (impôt et contribution au FSS estimés à 2 750 $) sous forme de dividende à un conjoint ou à un enfant majeur qui n’a aucun autre revenu. Contrairement à un salaire, un dividende versé à un actionnaire n’a pas à être justifié au niveau fiscal.
Cette façon de faire aurait pour effet d’augmenter le montant disponible pour la famille de 10 950 $ (soit 13 700 $ – 2 750 $) dans l’année courante et de créer un avantage immédiat.
Dans notre exemple, le médecin continue de contribuer au REER et d’accumuler des gains au RRQ. En incorporant sa pratique médicale, il ajoute la possibilité de reporter l’impôt sur des sommes non requises pour son coût de vie annuel ou encore de l’augmenter par le principe du fractionnement des revenus avec des membres de sa famille, le cas échéant.
Autres éléments
Une incorporation entraîne une administration supplémentaire (par exemple, une comptabilité liée à la préparation des états financiers, la production de documents fiscaux et les déclarations de revenus).
Il faut également considérer les frais de constitution à payer au moment de l’incorporation, lesquels varient selon la structure et la complexité de la SPA (c’est-à-dire avec ou sans fiducie familiale).
Bien que certaines économies ne soient pas suffisantes pour justifier l’incorporation, elles méritent d’être prises en considération. Par exemple :
- le paiement des primes d’assurance sur la vie du médecin effectué par la SPA (bien que non déductibles, il en coûte ainsi moins cher) ;
- l’acquisition d’équipements ou le paiement de dépenses d’affaires déductibles ou non, tels que les frais de repas, de représentation ou d’adhésion à un club ;
- l’utilisation de la voiture aux fins d’affaires, généralement selon une allocation au kilomètre déductible pour la SPA et non imposable pour l’actionnaire ;
- la prestation consécutive au décès d’un actionnaire dirigeant de 10 000 $ non imposable pour la succession ;
- l’inapplication des restrictions sur les dépenses de bureau à domicile.
Force est de constater qu’il est faux de prétendre que toutes les dettes doivent être payées ou encore qu’il faille laisser une somme substantielle dans la SPA pour rendre l’incorporation rentable. De telles affirmations sont erronées parce qu’elles restreignent les avantages de l’incorporation à une simple question d’impôt différé et omettent de prendre en considé-ration d’autres aspects favorables, comme le fractionnement de revenus ou la présence de placements non enregistrés.
De fait, la décision d’incorporer votre pratique médicale doit être fondée sur une connaissance de vos besoins financiers actuels et des possibilités inhérentes à votre situation familiale, d’où l’importance d’effectuer une évaluation spécifique à votre situation.
Autre considération – le choix du mode de rémunération
Une fois incorporé, l’actionnaire dirigeant doit s’interroger sur la combinaison optimale (salaire et/ou dividendes) pour assumer ses dépenses courantes annuelles.
Dans certains cas, le médecin se versera un salaire afin d’effectuer, entre autres, des contributions à son REER et de cotiser au Régime des rentes du Québec (RRQ). Le surplus disponible après impôt sera conservé par la SPA ; au besoin, il sera versé sous forme de dividendes à l’actionnaire.
Le paiement d’un salaire oblige le versement de charges sociales (RRQ, RQAP, FSS, part de l’employeur et part de l’employé), alors que le versement de dividendes implique un renoncement de cotisation au REER et à la valeur de la cotisation au RRQ3. Toutefois, il faut préciser que dans cette dernière situation, les charges sociales à payer sont inexistantes.
Reprenons l’exemple précédent et supposons qu’il y ait versement d’un salaire ou de dividendes pour assumer des dépenses courantes de 65 000 $.
Situation de la SPA
Avec salaire | Avec dividendes | |
Revenu de la SPA | 180 000 $ | 180 000 $ |
Salaire versé | (123 000 $) | s.o. |
Charges sociales4 | (5 900 $) | 0 $ |
Revenu imposable | 51 100 $ | 180 000 $ |
Impôt5 | (9 700 $) | (34 200 $) |
Montant disponible | 41 400 $ | 145 800 $ |
Dividendes versés | 0 $ | (80 000 $) |
Surplus laissé dans la SPA | 41 400 $ | 65 800 $ |
3 L’accumulation des gains au RRQ devra être prise en compte pour déterminer la valeur d’une contribution au RRQ, laquelle est de 4 326 $ par employé et employeur en 2010.
4 Part de l’employeur pour le RRQ et le RQAP, et 2,7 % du salaire versé au FSS.
5 Le taux d’impôt est de 19 % (11 % au fédéral et 8 % au provincial) sur les premiers 500 000 $ de revenus actifs annuellement.
Situation de l’actionnaire
Avec salaire | Avec dividendes | |
Revenu personnel | 123 000 $ | 80 000 $ |
Charges sociales6 | (2 400 $) | (500 $) |
Cotisation REER | (22 000 $) | (0 $) |
Impôt | (33 000 $) | (13 400 $) |
Montant disponible | 65 600 $ | 66 100 $ |
Coût de vie | (65 000 $) | (65 000 $) |
Surplus budgétaire | 600 $ | 1 100 $ |
6 Part de l’employé pour le RRQ et le RQAP (si un salaire est payé) ainsi que le FSS (si des dividendes sont versés).
En supposant que les dividendes puissent être fractionnés avec les membres de la famille, il serait possible de réaliser des économies supplémentaires.
Par exemple, en versant au médecin et à son conjoint une somme identique de 35 000 $, le montant disponible pour le couple serait de 66 500 $ (après impôt et FSS de 1 750 $ chacun), et le montant laissé dans la SPA serait alors de 75 800 $.
Calcul de l’épargne potentielle accumulée sur un (1) an
Avec salaire | Avec dividendes | Avec dividendes fractionnés | |
Contribution REER | 22 000 $ | 0 $ | 0 $ |
Épargne personnelle | 600 $ | 1 100 $ | 1 500 $ |
Épargne dans la SPA | 41 400 $ | 65 800 $ | 75 800 $ |
Total | 64 000 $ | 66 900 $ | 77 300 $ |
L’accumulation du capital dans la SPA pourrait servir, lors de la retraite (ou de la préretraite), à couvrir les dépenses courantes, et ce, sans avoir à effectuer des retraits dans les REER, ou encore à payer les études des enfants en leur versant des dividendes dès leur majorité.
Par exemple, l’impôt payable sur le versement d’un dividende de 30 000 $ à un actionnaire n’ayant aucun autre revenu serait de 1 050 $, soit 4 %. En considérant l’impôt de 19 % payé par la SPA, l’impôt combiné serait de 23 %.
Au taux marginal maximum payé, un versement de dividende est imposé à 36,4 %, comparativement à un retrait REER qui, lui, est imposé au taux marginal maximum de 48,2 %, soit un écart favorable de 11,8 % pour les dividendes.
De plus, au plus tard à l’âge de 71 ans, le REER doit être converti en FERR, ce qui nécessite un retrait minimum annuelobligatoire, alors que les sommes accumulées dans la SPA ne sont pas assujetties à une telle contrainte, car elles peuvent y rester tant et aussi longtemps que la SPA existe, et ce, même si le médecin ne pratique plus.
Certains affirment qu’il faut absolument adopter l’approche « salaire » pour pouvoir cotiser au REER et à la RRQ. S’il est vrai que le salaire est nécessaire à la cotisation à ces régimes, il faut aussi savoir que l’actionnaire médecin pourrait décider de ne rien se verser pendant un certain nombre d’années, notamment s’il dispose d’autres revenus ou de placements non enregistrés lui permettant de satisfaire ses besoins financiers. Ainsi, la totalité du montant disponible après impôt pourrait être investie dans la SPA afin d’en reporter le maximum d’impôt.
FACTEURS MILITANT EN FAVEUR DE L’INCORPORATION
1. La présence de placements non enregistrés qui permettent de financer le coût de vie en laissant des sommes plus importantes dans la SPA, ce qui augmente l’avantage de l’impôt différé.
2. Le taux d’imposition moindre de la SPA qui permet d’y investir des montants plus élevés.
3. La création d’une SPA qui s’avère fort intéressante dès que les revenus professionnels après impôt et la contribution au REER excèdent ce dont le médecin a besoin pour vivre.
4. Plus le niveau de vie est bas, plus l’incorporation s’avère avantageuse, car le médecin dispose d’une épargne additionnelle.
5. La possibilité de fractionner le revenu avec des membres de la famille (conjoint, enfant majeur) dont le taux d’imposition est faible ou nul.
6. Le faible taux d’imposition d’un actionnaire dont les revenus sont exclusivement constitués de dividendes.
7. Contrairement au REER qui doit être converti en FERR lorsque le bénéficiaire atteint l’âge de 71 ans, obligeant ainsi les retraits annuels, il n’y a aucune obligation de conversion ni de retrait dans la SPA.
EN CONCLUSION
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