TPS : l’erreur de Harper
Parmi les nombreux articles de nature économique et financière publiés chaque année, certains s’avèrent particulièrement intéressants. Dans le texte qui suit, vous pourrez apprécier un article de M. Claude Picher, publié le 22 août 2006, dans la section Affaires de LA PRESSE.
TPS: l’erreur de Harper
L’ex-ministre libéral John McCallum, critique de l’opposition en matière de finances, vient de confirmer que son parti s’oppose à toute nouvelle baisse du taux de la TPS.
C’est une position qui risque de choquer les consommateurs. La TPS a été établie par le gouvernement de Brian Mulroney en 1991, au taux de 7 %. Elle remplaçait l’ancienne taxe de 13,5 % imposée sur les produits manufacturés, et qui était camouflée dans le prix de vente. Les électeurs canadiens ont très mal digéré la nouvelle taxe. On peut certainement penser que la déroute des conservateurs, en 1993, est due en bonne partie à l’impopularité de la TPS, d’autant plus que les libéraux de Jean Chrétien avaient promis de l’abolir. Une fois au pouvoir, ils s’en sont bien gardés, pour une raison assez simple: la TPS rapporte 30 milliards par année. Si on la supprime, on la remplace par quoi? Toujours est-il que les libéraux ne rempliront jamais leur promesse.
En revanche, les conservateurs de Stephen Harper ont promis de baisser le taux de la taxe à 6 % dès leur arrivée au pouvoir, et à 5 % à l’intérieur de leur mandat de quatre ans, s’ils parviennent à durer aussi longtemps. Contrairement aux libéraux, ils ont rapidement rempli la première partie de leur promesse.
M. McCallum ne tient pas à rétablir le taux de 7 % si son parti reprend le pouvoir, mais avertit les consommateurs qu’il n’est pas question de l’abaisser à 5 %.
Certes, la feuille de route des libéraux, dans ce dossier, est aussi incohérente que vaporeuse: après avoir patiné pendant des mois, ils ont fini par carrément renier leur promesse.
Malgré cela, M. McCallum a raison. La baisse de la TPS d’un point de pourcentage, qui coûte cinq milliards par année à Ottawa, est une erreur. Et on ne ferait qu’empirer la situation en la réduisant davantage.
Partout dans le monde, les administrations publiques tendent de plus en plus à taxer la consommation plutôt que le revenu.
Les taxes à la consommation, comme la TPS, s’appliquent directement à votre niveau de vie. Vous vous payez une Mercedes S550 à 118 000 $? Vous paierez 7100 $ de TPS (plus 9400 $ de taxe provinciale). Tant mieux si vous en avez les moyens. Mais si vous achetez une Honda Civic à 24 000 $, vous ne paierez que 1400 $ de taxe fédérale et 1900 $ de taxe provinciale. Grosse voiture, grosses taxes.
Or, le même raisonnement ne s’applique pas pour les impôts sur le revenu. Certes, la progressivité du régime fiscal fait en sorte que plus votre revenu augmente, plus vous grimpez dans les fourchettes d’imposition. Ainsi, si votre revenu imposable est de 25 000 $, votre taux d’imposition, au fédéral comme au provincial, est de 16 %. Mais si votre revenu imposable est de 250 000 $, ces taux passent à 29 % et 24 % respectivement. Toutes proportions gardées, les riches paient donc plus d’impôts sur leur revenu imposable. Or, les contribuables à revenus élevés disposent généralement d’une plus grande marge de manoeuvre pour réduire leur revenu imposable.
Avec un revenu de 25 000 $, il ne vous reste pas grand-chose pour contribuer à un REER, investir sur le marché boursier, déclarer des dividendes ou réaliser des gains en capital.
D’autre part, l’impôt sur le revenu est une des meilleures façons de décourager les gens de travailler. Plus vous travaillez, plus vos revenus augmentent, plus vous progressez dans les fourchettes d’imposition, plus vous payez d’impôts.
Ce problème ne se pose pas avec les taxes à la consommation: plus vous dépensez (et donc, présumément, plus vous êtes riche), plus vous payez de taxes sur vos achats. Même le mafioso qui se paie un repas de grand luxe au restaurant doit payer sa TPS et sa TVQ.
Certes, les taxes à la consommation sont, par définition, régressives, c’est-à-dire qu’elles défavorisent les consommateurs à faibles revenus. Vous achetez une chemise à 60 $? Vous paierez exactement le même montant de taxe, que vous gagniez 200 000 $ ou 20 000 $ par année. Toutefois, cet obstacle peut facilement être contourné avec des crédits d’impôt à l’intention des ménages à faibles revenus.
L’impôt sur le revenu comporte une foule d’échappatoires. Il est lourd et coûteux à administrer. Il décourage le travail et contribue à freiner les gains de productivité. En revanche, les taxes à la consommation sont faciles à appliquer et contribuent à diminuer l’évasion fiscale.
Dans ces conditions, on comprend que la majorité des pays, partout dans le monde, se dirigent vers un régime fiscal où on taxe de plus en plus la consommation, et de moins en moins les revenus. Les taxes à la consommation représentent la principale source de revenus fiscaux dans 21 des 30 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui regroupe pour l’essentiel des pays industrialisés.
Le Canada est un des neuf pays où l’impôt sur le revenu des particuliers demeure la principale source de revenus. L’impôt sur le revenu des particuliers représente 35 % des revenus fiscaux du Canada, contre une moyenne de 26 % dans les pays de l’OCDE. Les chiffres correspondants, pour les taxes à la consommation, sont de 26 % et 32 %.
Ces données sont les plus récentes disponibles, mais elles datent de trois ans. On peut avancer sans aucun doute que l’écart entre le Canada et les autres pays industrialisés a continué de se creuser depuis, surtout avec la baisse de la TPS. Autrement dit, Stephen Harper, avec ses baisses de TPS, nage clairement à contre-courant de ce qui se fait ailleurs.
En ce sens, les libéraux, en disant qu’ils maintiendraient la TPS à 6 %, ne gagneront probablement pas de concours de popularité, mais sur le fond de la question, il est clair que leur position est plus sensée.