Les émotions guident-elles ou faussent-elles vos décisions de placement ? – I
Il est de commune connaissance que des investisseurs ayant subi plusieurs échecs successifs ont tendance à redouter les valeurs risquées, tandis que ceux ayant connu plusieurs bonnes transactions consécutives sont enclins à manifester une confiance démesurée, voire un optimisme excessif et, par le fait même, à sous-estimer les risques. Dans un premier de deux articles, nous tentons aujourd’hui de démystifier la finance comportementale.
En 2002, l’Académie royale des sciences de Suède a attribué le Prix de la Banque de Suède en Sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel conjointement à un économiste, Vernon Smith, et à un psychologue, Daniel Kahneman.
Dans son communiqué, l’Académie précisait que ce dernier devait sa distinction au fait « d’avoir introduit en sciences économiques des acquis de la recherche en psychologie, en particulier concernant les jugements et les décisions en incertitude ». Quant à son colauréat, son principal mérite consistait à « avoir fait de l’expérience en laboratoire un instrument d’analyse économique empirique, en particulier dans l’étude de différentes structures de marché ».
Ce Prix Nobel a marqué en quelque sorte la consécration de l’économie comportementale et une certaine rupture avec le paradigme traditionnel hérité de la théorie financière néoclassique. Selon cette dernière, la prise de décision économique ou financière résulte d’un comportement parfaitement rationnel de l’homo economicus dont les décisions sont basées sur son intérêt personnel et la recherche du gain d’abord et avant tout, et ce, dans des marchés tout à fait équilibrés et efficients. Jusqu’alors, le modèle classique dominant considérait l’économie comme une science abstraite (non expérimentale) axée sur l’étude d’économies concrètes plutôt que sur des expériences en laboratoire
Il est maintenant admis que la science économique résulte de mécanismes décisionnels complexes, imprévisibles, fortement influencés par la nature irrationnelle, subjective et variable des comportements, et non modélisables.
L’économie comportementale tente donc de mieux comprendre les divers processus en vertu desquels les individus en viennent à agir d’une façon ou d’une autre, et même d’anticiper leurs comportements au moment d’investir ou face à des phénomènes économiques ou financiers particuliers.
Plutôt que de considérer l’investisseur comme un être purement cartésien, la finance comportementale postule que son jugement peut être biaisé par des anomalies de marché, certes, mais qui n’émanent pas uniquement de facteurs structurels (p. ex. un monopole portant atteinte à une concurrence idéale).
En effet, ces dysfonctionnements qui provoquent des distorsions sur le plan des rendements des marchés financiers, peuvent découler aussi de facteurs comportementaux, c’est-à-dire des travers d’ordre psychologique et sociologique qui troublent le jugement de l’investisseur et affectent ses décisions d’achat ou de vente. Des exemples? Se fier uniquement à ses premières impressions, analyser une situation de manière partielle et courte, surestimer ou sous-estimer un juste prix, vouloir battre le marché à tout prix, se laisser guider uniquement par l’excès de confiance ou la peur, etc.
Ces anomalies n’étant pas toujours prises en compte dans la théorie financière néoclassique, force est de constater l’indéniable utilité de la finance comportementale qui s’intéresse précisément aux déséquilibres engendrés par les comportements des investisseurs, notamment lors de crises financières ou de périodes de volatilité exagérée des marchés réagissant à une information, à un indicateur ou à une manifestation de mimétisme.
C’est dans la finance comportementale que s’inscrivent les notions de tolérance au risque et d’horizon de placement qui permettent aux investisseurs d’obtenir des rendements en meilleure adéquation avec leurs besoins et leurs attentes. Se révèle ici une vérité toute simple, élémentaire et pourtant trop longtemps ignorée, à savoir que derrière les chiffres il y a des humains.
Règle générale, les gens s’attribuent le mérite des bonnes performances de leurs portefeuilles, mais blâment les marchés et la fatalité lorsqu’ils accusent des pertes. Dans ces cas-là, le réflexe le plus commun consiste à tenter d’éliminer tout sentiment de culpabilité et de responsabilité à l’aide d’une ou de plusieurs explications réconfortantes.
D’autres situations mettent en évidence un déni de la réalité consistant à refuser de vendre un titre à perte même en étant parfaitement conscient qu’il s’agit de la décision la plus rationnelle et, surtout, la moins dommageable à prendre. Les spécialistes parlent alors du biais comportemental de l’incapacité à réaliser des pertes.
Dans d’autres cas, comme la réalisation trop rapide de gains, un état euphorique pousse souvent des investisseurs à tenter d’obtenir une satisfaction supplémentaire en vendant un titre prématurément, même au risque de se priver d’une croissance accrue de leurs placements.
De fait, le plaisir immédiat et instantané est un puissant ressort de contentement et de bien-être et, par voie de conséquence, l’ennemi du long terme. On comprend dès lors qu’un concept abstrait et vague comme « une planification financière à long terme en vue de la retraite » n’est pas en soi un stimulant très puissant pour un très grand nombre d’individus.
Une fois la psychologie de l’investisseur mieux comprise, on mesure pleinement l’importance des émotions dans les décisions d’investissement. Il devient dès lors plus facile d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies appropriées, de faire des choix plus éclairés, de bâtir un portefeuille plus approprié et d’atteindre plus facilement des objectifs financiers réalistes.
Suite dans prochain numéro.