/  01 mai 2024

Attention, nid de poule ! Un regard sur le déficit de maintien des infrastructures québécoises

Lors de son plus récent dépôt de budget, le ministre des Finances inscrivait 11 milliards de dollars de déficit. Certes, ce déficit frappe l’imaginaire par son ampleur « monétaire » et parce qu’il est également le plus grand déficit de l’histoire du Québec. Toutefois, s’il est mesuré à l’aune de la capacité de payer du gouvernement provincial, ce déficit n’est pas anormalement élevé.

En effet, si l’on ajuste la provision pour éventualités et les versements au fonds des générations, le « véritable » solde budgétaire provincial pour l’année fiscale 2023-2024 est estimé à 7,3 milliards de dollars, ce qui représente 1,2 % du PIB nominal prévu de 590 milliards de dollars. Ces chiffres sont loin de ceux affichés en 1980-1981, alors que le solde budgétaire de la province était de 3,5 milliards de dollars, soit 4,7 % d’un PIB de 75 milliards de dollars. Le rapport « solde/capacité de payer » pour l’année fiscale 2023-2024 est donc le plus élevé de ces 60 dernières années.

Il n’en demeure pas moins que des défis importants restent à relever. On peut penser notamment au chemin du retour à l’équilibre budgétaire. L’assainissement des finances publiques ne manquera pas de causer quelques maux de tête au ministre des Finances. Et c’est sans compter l’autre déficit : celui du maintien et la reconstitution des infrastructures publiques. Au cours de la prochaine décennie, ce n’est pas un déficit qu’il nous faudra régler, mais bien deux si nous voulons garder l’objectif de laisser à nos enfants des infrastructures de qualité.

Des infrastructures vétustes

C’est connu, les infrastructures publiques québécoises ont pour la plupart été construites dans les années 1960 et 1970, une période faste où l’économie du Québec entrait dans la modernité. Au cours des décennies qui ont suivi, les infrastructures publiques ont contribué à la prospérité et au bien-être des citoyens québécois. Cependant, plusieurs structures majeures approchent de leur fin de vie utile, qui varie, selon le Plan québécois des infrastructures (PQI), entre 25 et 75 ans. Nos écoles et notre réseau routier ont particulièrement besoin d’attention, de même que nos hôpitaux, notre réseau d’aqueduc et d’égout.

Un réinvestissement, amorcé au début des années 2000, a été accéléré au tournant de la crise financière pour soutenir le retour au plein-emploi, mais aussi parce qu’à l’évidence, les infrastructures du Québec étaient en bien piètre état. L’effondrement du viaduc de la Concorde nous a révélé brutalement la grande négligence du gouvernement dans ce dossier.

Depuis un peu plus de 10 ans, le PQI est mis à jour annuellement par le Conseil du trésor. Ce plan élabore des prévisions d’investissements pour la décennie à venir et évalue le déficit de maintien des actifs, c’est à dire ce qu’il faudrait investir pour remettre nos actifs à niveau. En clair, les travaux de maintien favorisent la pérennité de nos actifs collectifs.

Le gouvernement du Québec semble reconnaître que les besoins sont importants. Il a fortement bonifié le budget du PQI au cours de la dernière décennie, le faisant passer de 88 milliards de dollars en 2015 à 153 milliards de dollars lors de sa plus récente mouture, soit celle de 2024-2034. Malgré cet effort, le déficit de maintien d’actifs continue de progresser. Évalué à près de 37,1 milliards de dollars au printemps 2024, il était de 34,9 milliards de dollars au PQI de l’année dernière et de 30,6 milliards de dollars en 2022-2023 (graphique). Tout indique que ce chiffre pourrait continuer à se dégrader au cours des prochaines années. Une situation inquiétante, alors que les coûts de construction s’envolent et que la pénurie de main-d’œuvre bat son plein.

 

GRAPHIQUE
Évolution du déficit de maintien d’actifs

Source : Plan québécois des infrastructure

 

Attention, nid de poule ! Les hivers hésitants comme celui que nous venons de connaître n’aide en rien la qualité de nos routes. Sans surprise, c’est le réseau routier qui aura le plus besoin d’amour. Le PQI prévoit d’y investir 34,5 milliards de dollars sur la période 2024-2034. En bon second, les réseaux de l’éducation et de l’enseignement supérieur devraient pour leur part recevoir 31,2 milliards de dollars pour une cure de rajeunissement.

Une situation qui soulève bien des questions. Aurions-nous pu éviter la tempête parfaite et profiter des dernières décennies pour réduire le déficit de maintien d’actifs, alors que la main-d’œuvre était disponible, le coût des matériaux raisonnable et les taux d’intérêt fort avantageux ? Que s’est-il passé ?

Et si nous avions choisi la mauvaise cible ?

Le paradigme central veut qu’au cours des dernières décennies, le gouvernement du Québec ait mis en place un excellent système pour réduire le poids de sa dette dans l’économie. En effet, le proverbial ratio dette/PIB est en baisse quasi constante depuis 2014-2015, et ce, peu importe la mesure choisie. Au prorata de la capacité de payer, la dette du Québec est passée en dessous de celle de l’Ontario, et les études du Directeur parlementaire du budget à Ottawa affirmaient sans gêne que la situation d’endettement québécoise était parmi les plus soutenables au pays. Un succès d’estime donc, que seule la pandémie aura réussi à infléchir temporairement, avant que le dépôt du plus récent budget ne vienne renverser cette tendance.

Ce beau succès semble néanmoins avoir sa part d’ombre. Lorsque les projecteurs sont sur l’assainissement des finances publiques, comme l’exige la Loi sur l’équilibre budgétaire, les élus ont tendance à favoriser le court terme au détriment du long terme. La gestion des dépenses courantes et les coupures de ruban, soit l’ajout de nouveaux actifs, auront le haut du pavé sur le maintien des actifs existants et sont également beaucoup plus attirants auprès de l’électorat. Sur le long terme, toutefois, un regard dans l’ombre nous apprend qu’un déficit de maintien d’actifs apparaît et que la cible de réduction de dette cache un fait non équivoque : le déficit grossit !

Maintenant, la pénurie de main-d’œuvre sévit, particulièrement dans le secteur de la construction, et tout indique que les taux d’intérêt resteront élevés plus longtemps, affectant le coût des projets.

Un double déficit

Au Québec, des voix commencent à s’élever pour souligner le sérieux problème de sous-investissement dans nos actifs collectifs. Le déficit de maintien d’actifs, dépense incompressible si l’objectif est de maintenir la qualité de vie de nos concitoyens, devrait être considéré comme un passif au même titre que la dette financière. Dans l’état actuel des choses, il faut donc entrevoir le déficit de maintien d’actifs comme une autre forme de dette passée aux plus jeunes générations. Les pressions seront importantes. Au cours des prochaines années, ce n’est peut-être pas un déficit qu’il nous faudra attaquer de front, mais bien deux : celui des finances publiques et celui des infrastructures. Ils sont évidemment fortement interreliés et ont le pouvoir de soulever des enjeux d’équité intergénérationnelle. D’où l’importance de placer les deux déficits au centre d’une discussion unique et cohérente.


David Dupuis, économiste