Devriez-vous prévoir une fiducie dans votre testament ?
Vous pouvez léguer vos biens directement à vos proches ou plutôt à une ou plusieurs fiducies testamentaires dont vos proches seront les bénéficiaires. Quels objectifs (fiscaux ou autres) vise le legs fiduciaire ?
Dans les testaments faits avant 2016, il était fréquent de prévoir, pour des fins fiscales essentiellement, des fiducies pour détenir l’héritage laissé aux membres de la famille. En effet, avant 2016, les revenus gagnés par une fiducie testamentaire étaient imposés au même titre qu’un individu, donc selon les taux progressifs. Il y avait donc un avantage fiscal de transmettre la part de chaque héritier à une fiducie distincte dans le but de fractionner les revenus annuels de l’héritage entre la fiducie et l’héritier, ce qui se traduisait en économies d’impôt fort intéressantes, surtout si la fiducie était maintenue pendant plusieurs années.
À partir de 2016 cependant, tous les revenus des fiducies testamentaires sont imposés au taux maximal applicable aux particuliers, soit 53,31% en 2021, et ce, même pour les décès survenus (ou les testament signés) avant 2016. Il n’est donc plus justifié de prévoir une fiducie dans son testament pour des raisons purement fiscales, sauf certaines exceptions.
Testament fait avant 2016
Si votre testament a été fait avant 2016 et qu’il contient une ou des fiducies testamentaires créées dans le seul but de bénéficier des taux d’imposition progressifs, vous devriez songer à le modifier afin de supprimer le legs en fiducie.
Si vous décédez avant d’avoir pu modifier votre testament en ce sens, votre liquidateur et le fiduciaire devront évaluer la possibilité de mettre fin prématurément à la fiducie, de façon à remettre l’héritage directement entre les mains de vos héritiers.
Faut-il maintenant éviter de prévoir une fiducie dans son testament ?
Le taux d’imposition élevé à l’égard des revenus gagnés dans une fiducie testamentaire ne remet pas en cause son utilité. Simplement, on ne le fera pas uniquement pour des économies d’impôt. En revanche, il existe toujours une multitude d’autres raisons pour justifier le recours à un legs en fiducie.
Fiducie pour les enfants ou petits-enfants
Que ce soit vos enfants ou petits-enfants qui héritent, il est souvent recommandé de léguer leur héritage à une fiducie testamentaire, surtout lorsqu’ils sont jeunes et que les valeurs en jeu sont importantes. Si ces derniers ont moins de 18 ans, cela permettra d’éviter que les biens légués soient gérés par le tuteur de l’enfant. Vous pourrez prévoir que l’héritage en fiducie leur sera distribué de façon progressive et jusqu’à un certain âge, par exemple, jusqu’à 25 ou 30 ans.
Le legs à des petits-enfants peut notamment survenir dans l’éventualité où votre enfant décède avant vous ou avant d’avoir reçu la totalité de son héritage en fiducie.
Généralement, on prévoit une seule fiducie pour l’ensemble des enfants. Dans ce cas, le fiduciaire devra créer autant de lots égaux qu’il y a d’enfants; et chacun des lots sera géré séparément à l’intérieur de la fiducie.
Si votre enfant a moins de 18 ans et qu’il est financièrement à votre charge au moment de votre décès, vos REER pourront, sous réserve de plusieurs conditions, être légués, exempts d’impôt, à la fiducie testamentaire dont votre enfant sera le bénéficiaire. Ce faisant, vos REER seront imposés graduellement entre les mains de votre enfant jusqu’à ses 18 ans. Pour y arriver, la fiducie devra faire l’acquisition d’un contrat de rente payable jusqu’à la majorité.
Vous pouvez aussi léguer les REEE à la fiducie testamentaire de vos enfants, dans la mesure où votre testament accorde certains pouvoirs au fiduciaire.
Fractionnement fiscal des revenus en fiducie
Si vous avez un ou des enfants, ou que ces derniers ont eux-mêmes des enfants, la fiducie pourra être structurée de façon à ce que le fiduciaire ait le pouvoir discrétionnaire de répartir les revenus annuels entre les différents béné-ficiaires, dans le but de réduire les impôts qui seraient autrement payables, surtout si ces bénéficiaires sont assujettis à des taux d’imposition avantageux.
Legs en faveur d’une personne souffrant d’un handicap intellectuel
Si votre héritier est atteint d’un handicap intellectuel, vous avez généralement avantage à prévoir une fiducie testamentaire afin que les biens légués soient gérés par une autre personne. Dans ce cas-là, le testament mentionne habituellement que le fiduciaire a l’obligation de subvenir à tous les besoins de l’héritier, tout en disposant d’une certaine latitude pour lui remettre des sommes d’argent additionnelles. Le legs en fiducie permet d’éviter que l’héritage soit géré dans le cadre du régime légal de la tutelle au majeur, ce qui s’avère particulièrement contraignant.
Si votre héritier est admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées (ce qui inclut aussi l’incapacité physique), les revenus gagnés dans sa fiducie seront imposés au même titre qu’un particulier, donc selon les taux progressifs. Cela constitue un avantage fiscal marqué par rapport aux autres fiducies testamentaires, car avec ce type de fiducie, il est possible de répartir, de façon optimale, l’imposition des revenus entre la fiducie et le bénéficiaire.
Certaines de ces fiducies peuvent être constituées de façon à permettre au bénéficiaire handicapé de continuer à toucher les prestations de solidarité sociale du gouvernement provincial, malgré un héritage important. Ce type de fiducie, connu sous le vocable « fiducie Henson », suppose que les versements au bénéficiaire sont totalement discrétionnaires.
Si votre enfant atteint d’un handicap intellectuel demeure financièrement à votre charge au moment de votre décès, il sera possible, sous réserve de plusieurs conditions, de bénéficier d’un roulement fiscal complet de vos REER et FERR, même si ces derniers sont légués à la fiducie testamentaire. Cela permet de reporter et d’étaler l’imposition de ces régimes, qui, autrement, seraient imposés à votre taux marginal. Pour y parvenir, la fiducie devra acquérir un contrat de rente, en plus de se qualifier à titre de « fiducie de prestations à vie ». Ce roulement fiscal à une fiducie est également possible au bénéfice d’un conjoint souffrant d’un handicap intellectuel.
Fiducie testamentaire exclusive au conjoint
Cette fiducie testamentaire est souvent utilisée lorsque le testateur désire léguer des biens à son conjoint, tout en voulant s’assurer qu’au décès subséquent de celui-ci, le résidu des biens sera transmis à ses enfants plutôt que d’être distribué selon le testament du conjoint. Ce type de fiducie est généralement utile dans le cas des familles recomposées, lorsqu’il y a un ou des enfants nés d’une union antérieure, ainsi qu’en présence d’un conjoint âgé ou en situation de vulnérabilité.
On pourrait prévoir que le conjoint survivant ait droit à tous les revenus gagnés par la fiducie. Quant au capital, le conjoint survivant pourrait bénéficier, à vie, d’un montant annuel ou d’un pourcentage annuel des biens en fiducie. Le testament pourrait également mentionner que le fiduciaire devra utiliser le capital de façon à ce que le conjoint ait un niveau de vie similaire à celui avant le décès du testateur. Il est possible d’accorder au fiduciaire le droit discrétionnaire de verser des sommes additionnelles au conjoint.
Ce type de fiducie permet généralement le roulement fiscal des biens ayant accumulé une plus-value au jour du décès du testateur. Il faut cependant éviter le legs des REER et FERR à cette fiducie, le roulement fiscal de ces régimes n’étant pas permis dans ce cas.
Autres motifs pour constituer une fiducie testamentaire
- Vous possédez un chalet et désirez qu’il demeure dans la famille pour plusieurs années ou générations. Le legs en fiducie permet d’éviter que le chalet soit vendu ou transmis en dehors de la famille à la suite du décès de l’un des héritiers.
- Vous détenez des polices d’assurance vie de grande valeur et souhaitez qu’à votre décès, elles soient payables à votre succession pour ensuite être transférées dans une fiducie testamentaire constituée pour le bénéfice de certains de vos héritiers.
- Vous souhaitez garder un certain contrôle sur les biens légués à votre héritier après son décès. La fiducie permet de s’assurer que les biens qui resteront dans la fiducie au moment du décès du bénéficiaire seront remis aux personnes que vous aurez désignées selon vos volontés dans votre testament, et non selon le testament de l’héritier.
- L’un de vos héritiers est marié et vous voulez vous assurer que son héritage sera protégé en cas de rupture.
- L’un de vos héritiers est en affaires. Le legs en fiducie permet de protéger son héritage en cas d’éventuelles difficultés financières.
- L’un de vos héritiers est dépensier, endetté ou insolvable.
- L’un de vos héritiers est vulnérable (âgé, malade, inapte, toxicomane, etc.).
- Dans certains cas, la fiducie testamentaire peut permettre à un héritier de préserver certaines prestations gouvernementales déterminées en fonction des revenus, car les revenus gagnés et conservés dans la fiducie sont exclus du calcul.
- En raison des droits successoraux ou taxes d’héritage applicables dans certains pays, il est parfois recommandé de léguer un bien situé à l’étranger (généralement une propriété d’une grande valeur) à une fiducie testamentaire distincte.
Imposition des revenus de la fiducie testamentaire
Le fiduciaire (la personne qui gère les biens légués à la fiducie) doit, dans la mesure du possible, éviter que les revenus de la fiducie soient imposés au taux de 53,31 %, surtout si le taux d’imposition de l’héritier est moindre. Si ce pouvoir est prévu au testament, le fiduciaire pourra verser les revenus annuels de la fiducie à l’héritier afin que ce soit plutôt lui qui s’impose annuellement sur les revenus gagnés par la fiducie.
Dans le cas d’un héritier âgé de moins de 21 ans, la fiducie pourra être structurée de façon à ce que les revenus gagnés dans la fiducie soient imposés automatiquement entre les mains de cet héritier, même si ces revenus ne lui sont pas versés chaque année.
Aspects généraux de la fiducie testamentaire
La fiducie créée dans le testament se matérialise dès le décès, et non à la date de la signature du testament. Elle prend généralement fin au décès du bénéficiaire ou lorsque celui-ci aura atteint un certain âge, mais peut également exister pendant plusieurs générations.
Il peut y avoir un ou plusieurs fiduciaires. Selon la loi, il doit y avoir au moins un fiduciaire qui n’est pas bénéficiaire de la fiducie. Il faut toujours prévoir des fiduciaires de remplacement. Une société de fiducie est autorisée à agir comme fiduciaire; ses honoraires de gestion demeurent généralement élevés.
Le choix du fiduciaire est crucial. Il doit s’agir d’une personne envers qui vous avez une grande confiance, car elle sera souvent dotée de certains pouvoirs discrétionnaires. Cette charge peut être fort complexe et accaparante, surtout en présence de plusieurs bénéficiaires, si la valeur de la succession est importante ou s’il y a une grande variété d’actifs. Selon le type de fiducie, le fiduciaire pourraitexercer son rôle pendant de nombreuses années. Il est toujours recommandé de prévoir une rémunération annuelle suffisante pour les fiduciaires, qui constitue par ailleurs un revenu imposable.
Chaque année, une fiducie testamentaire doit généralement produire des déclarations de revenus (au fédéral et au provincial), ainsi que des feuillets fiscaux en cas de versement de revenus à des bénéficiaires. À noter que la répartition des revenus, entre la fiducie et vos héritiers, devra être planifiée annuellement, et ce, pour des raisons fiscales.
Une attention particulière s’impose lorsqu’une fiducie testamentaire détient une propriété d’habitation pouvant se qualifier aux fins de l’exemption pour gain en capital sur « résidence principale ». À cet égard, il existe plusieurs conditions et restrictions dans la loi; il est donc recommandé de consulter un professionnel de la fiscalité dans un tel cas.
La fiducie est généralement imposée tous les 21 ans d’existence sur la plus-value accumulée (à titre de gain en capital) à l’égard des biens qu’elle détient, sauf si le fiduciaire prend des mesures préalables pour ne pas s’y soumettre.
Alternatives à la fiducie testamentaire
La fiducie testamentaire constitue un mécanisme bien rodé du point de vue légal. Toutefois, il est également possible d’opter pour « un régime d’administration ». Moins complexe que la fiducie, ce régime est généralement utilisé en cas de legs à un mineur ou à une personne atteinte d’un handicap intellectuel et lorsque la valeur de l’héritage demeure modeste. Contrairement à la fiducie, votre héritier devient propriétaire des biens légués dès votre décès ; ce qui veut dire qu’au décès subséquent de votre héritier, les biens qui restent encore sous administration seront transmis aux héritiers de votre héritier (et non selon vos volontés).
Dans certaines situations, votre testament pourrait aussi prévoir un usufruit, un droit d’usage, une substitution ou un prêt.
Il est toujours recommandé de consulter un notaire, un avocat ou un fiscaliste avant de prévoir une fiducie dans votre testament.