Dollar canadien : où s’en va notre huard ?
Comprendre et anticiper le vol de l’oiseau
La valeur du dollar canadien sur le marché de change nous paraît souvent bien mystérieuse. Seulement au cours des 25 dernières années, le huard a atteint un creux historique de 0,62 $ contre le billet vert le 18 janvier 2002 et un sommet de 1,09 $ le 7 novembre 2007. Un écart stratosphérique pour qui a déjà échangé des devises. Le vol du huard peut nous paraître bien erratique, mais il existe néanmoins quelques clés pour nous permettre de le comprendre et de l’anticiper.
C’est l’offre et la demande
Depuis l’effondrement du régime étalon de change-or en 1971, la plupart des grandes devises sont devenues « flottantes » ou « flexibles ». C’est-à-dire que leur valeur est déterminée au jour le jour, voire en temps réel, sur le marché de change mondial en fonction des aléas de leurs offre et demande respectives.
Tout d’abord, il s’agit d’importateurs et exportateurs. Sans surprise, lorsqu’il y a engouement à l’échelle internationale pour un bien ou un service produit par le Canada, le huard prend son envol.
Première clé : le prix des matières premières
C’est connu, le Canada est un grand producteur et exportateur de matières premières et de pétrole. Ainsi, lorsque la demande pour les produits de base augmente, parce que l’activité économique mondiale accélère, le prix de l’énergie et des matériaux de base croît et le dollar canadien tend à s’apprécier. Une première clé pour anticiper les fluctuations du dollar consiste donc à surveiller et à anticiper le prix des produits énergétiques. Par exemple, le graphique ci-dessous montre l’évolution conjointe du dollar canadien et de l’indice des prix des produits de base (IPPB) énergétique (graphique). Comme on peut le constater, l’évolution de la valeur du dollar canadien vis-à-vis au dollar américain n’est pas étrangère aux soubresauts du prix de l’énergie.
GRAPHIQUE
Évolution du prix des produits énergétiques et de la valeur du dollar canadien
Deuxième clé : la parité des pouvoirs d’achat
Plus largement, une devise vaut donc ce qu’elle achète. La parité des pouvoirs d’achat (PPA), c’est-à-dire l’idée selon laquelle la valeur d’un panier de biens et services devrait être la même d’un pays à l’autre, est une façon d’évaluer le degré de sous- ou de surévaluation des devises.
En cas d’écart important, le taux de change devrait théoriquement s’ajuster pour maintenir la parité. La théorie nous dicte que si l’inflation américaine demeure supérieure à celle au Canada, le dollar canadien devrait s’apprécier pour maintenir la parité des pouvoirs d’achat à long terme entre le huard et le billet vert. L’inverse devrait se vérifier lorsque l’inflation est plus importante au Canada. La prudence est de mise, toutefois. La parité des pouvoirs d’achat est un outil qui nous aide à apprécier les grandes tendances sur la devise ; il est cependant peu utile comme outil de synchronisation du marché.
Troisième clé : l’écart de taux d’intérêt
Dans un troisième temps, les cambistes et les gestionnaires de portefeuille ont aussi une influence non négligeable sur les taux de change. Nous n’échangeons pas que des biens et services après tout, les actifs ont aussi un rôle à jouer. À court terme une devise vaut ce qu’elle « rapporte » et en ce sens, la dynamique de taux d’intérêt de part et d’autre de la frontière peut également influencer le vol de l’oiseau. Pour prévoir les courants de migration, une attention particulière peut être portée sur les politiques monétaires des banques centrales.
Sans entrer dans les détails, il faut comprendre que les cambistes, les gestionnaires de portefeuilles et de fonds de pension sont constamment à la recherche des meilleurs placements pour faire fructifier nos avoirs. Les taux d’intérêt plus élevés attirent donc les capitaux comme des aimants. Il en découle que si on anticipe que la Réserve fédérale américaine maintiendra ses taux d’intérêt plus haut et plus longtemps que la Banque du Canada, ce qui est le cas actuellement, le dollar américain aura tendance à s’apprécier vis-à-vis du dollar canadien. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que ce dernier a perdu près de 2 % de sa valeur par rapport au dollar américain depuis le début de 2024. Garder un œil sur les banques centrales et leur politique monétaire devient donc impératif pour qui veut comprendre les mouvements de devises.
Quatrième clé : l’effet grégaire et la prophétie autoréalisatrice
Finalement, une des raisons fondamentales qui expliquent les difficultés à prévoir le mouvement des devises vient du fait qu’elles sont soumises aux aléas de la psychologie des foules. Ainsi, tout ce qui est perçu comme positif pour l’économie canadienne a le pouvoir de se traduire par une appréciation du huard. Inversement, tout ce qui semble nuire à l’économie peut engendrer une dépréciation. Plus le sentiment est fort parmi les cambistes, plus les effets seront probants sur la valeur d’une devise.
À titre d’exemple, le dollar canadien s’est fortement déprécié au tournant de la crise financière même si l’épicentre de la crise se situait aux États-Unis. Avec la grande incertitude du moment, les investisseurs ont préféré le dollar américain comme valeur refuge puisque l’économie américaine est perçue comme étant plus stable et diversifiée. Cependant, au fur et à mesure, il est devenu évident que l’économie canadienne était en meilleure posture que l’économie américaine. Le huard a donc repris son ascension à compter de mars 2009 pour retrouver la parité avec le billet vert en décembre 2010.
La vitalité économique permet d’entretenir la confiance envers une devise, et le huard n’y échappe pas. Que cette vitalité soit réelle ou perçue n’y change rien. Ainsi, si les cambistes anticipent une embellie pour le dollar canadien, cette perception à le pouvoir d’être autoréalisatrice. Acheter un actif, comme le dollar canadien, lorsque l’on croit qu’il prendra de la valeur tombe sous le sens. Toutefois, ce comportement porte en lui l’énergie nécessaire à l’envol de l’oiseau. Une hausse de la demande pour le huard aujourd’hui, parce que l’on croit à l’appréciation future, aura pour effet de rehausser la valeur de la devise aujourd’hui. La psychologie des masses possède un important pouvoir explicatif sur la valeur des devises. Dommage qu’il soit si difficile d’anticiper les mouvements de foule !
David Dupuis,
économiste