Flambée du prix de l’essence : mais où va votre argent ?
Arrêt sur image : Le prix de l’essence à la pompe oscille autour de 1,25 dollar le litre en moyenne, nous sommes en 2019. Le monde boude l’or noir. La planète suffoque, transitons vers l’énergie renouvelable. Lorsque le consommateur rechigne à utiliser un produit, le producteur ne met plus autant d’effort à en soutenir l’offre. Les dollars d’investissement se poussent sur de nouveaux horizons. Exit l’énergie sale et non renouvelable. En route vers l’Éden ! Avance rapide jusqu’en 2022 : Le prix à la pompe explose ! Le conflit russo-ukrainien déstabilise l’offre et propulse les prix du brut vers les sommets, complétant le travail déjà entamé par la reprise de la demande post-pandémique. La transition énergétique est amorcée, mais visiblement, elle est loin d’être complétée. La chronique d’une mort annoncée reste prématurée et l’utopie d’un monde carboneutre devra attendre. Nous avons encore besoin de l’or noir, comme le confirment nos sueurs froides à la pompe lorsque le prix au litre dépasse les 2,20 dollars à la mi-année.
C’est connu, l’industrie pétrolière est relativement segmentée : prospection, forage, extraction, raffinage, transport et vente au détail. Un changement des conditions de marché à l’une ou à l’autre de ces étapes peut faire varier la facture à la pompe, et ce, sans oublier évidemment les taxes. Le prix à la pompe n’aura jamais été aussi élevé qu’en 2022, quelqu’un doit s’en mettre plein les poches. Mais où donc va votre argent ?
La régie de l’énergie du Québec nous instruit à ce sujet. Elle divise en trois parties distinctes le prix de l’essence à la pompe : la marge de détail, le coût d’acquisition et les taxes. Qui en profite donc le long de la chaîne d’approvisionnement.
La marge au détail
Tout au bout de la chaîne, il y a le détaillant : premier suspect. La marge au détail représente pour ce dernier la différence entre le prix affiché à la pompe et le coût d’acquisition du produit. Elle comprend les frais d’exploitation d’une station-service ainsi que le profit du détaillant. Au cours des six premiers mois de 2022, cette marge au détail s’est établie à 7,9 cents le litre, soit légèrement plus que sa moyenne de 7,6 cents le litre au cours de la dernière décennie. Cependant, cette hausse ne raconte pas toute l’histoire. C’est-à-dire que pour chaque dollar d’essence dépensé, seuls 4 cents vont échoir dans les poches du détaillant au cours du premier semestre de 2022, alors que c’était en moyenne 6 cents par dollar au cours de la dernière décennie. Même si cette marge peut varier du simple au double par moments, rien ne sert de fustiger votre pompiste. Il ne s’est pas enrichi au cours de l’épisode récent.
Le coût d’acquisition : prix du brut, marge de raffinage et transport
Deuxième arrêt : le coût d’acquisition. Pour le détaillant, le coût d’acquisition du produit renferme de toute évidence le prix du pétrole brut, la marge de raffinage ainsi que les différents frais de transport permettant d’acheminer le produit vers le marché.
Tuons tout de suite l’embryon dans l’œuf : les frais de transport de la rampe de chargement à la station-service, malgré la hausse du prix du pétrole, n’ont rien à voir dans notre histoire. Ils sont demeurés stables au cours de la période. À 0,4 cent le litre pour les Montréalais, ce coût est quasi négligeable. Bien qu’en principe, les clients des stations-service éloignées des grands centres doivent assumer des frais de transport supérieurs, il est important de rappeler que pour éviter un déséquilibre sur son territoire, le gouvernement du Québec réduit en conséquence la taxe sur les carburants qu’il perçoit en région éloignée. À titre d’exemple, les frais de transport sont estimés à 8,68 cents le litre aux îles de la Madeleine, mais le rabais de taxes applicables est de 4,65 cents le litre.
Le prix du pétrole brut est fixé par le jeu de l’offre et la demande sur le marché mondial. Dans le cas qui nous occupe, les producteurs de pétrole ayant grandement hésité à installer de nouvelles capacités au cours des dernières années, l’offre demeure relativement inélastique ; c’est-à-dire, qu’elle réagit très peu à tout changement de prix. Ainsi, lorsque la demande augmente et que les stocks baissent, le prix du brut peut monter très rapidement. C’est d’autant plus vrai si la moitié de la planète refuse de transiger avec un État guerrier et place le pétrole russe sous embargo. Les pressions de la demande sur les autres producteurs deviennent alors très importantes et les prix s’emballent. Par exemple, le prix du pétrole brut mesuré par l’indice américain Western Texas (WTI) est passé de 71,71 dollars américains en décembre 2021 à 114,84 dollars américains en juin dernier. Une progression de 60 % sur seulement six mois. Voici donc un premier coupable. Les pétrolières ont encaissé de juteuses hausses de profit au cours des derniers mois. Et ce n’est pas tout !
La marge de raffinage a également augmenté de plus de 68 % au cours du dernier semestre, passant d’environ 23,6 cents le litre à tout près de 40 cents le litre. Cette dernière se compose des retenues pour couvrir les différents frais de production de divers produits finis : essence, kérosène, diesel, mazout, etc., et elle inclut un profit pour le raffineur. En réalité, cette marge représente la différence entre le prix du pétrole brut et le prix à la rampe de chargement précédant le transport vers le point de vente final. Cette marge est très volatile puisqu’il y a très peu de capacité de raffinage excédentaire à l’échelle du globe. La moindre pression sur la demande de raffinage se reflète alors dans le prix. Un deuxième coupable au banc des accusés.
À tout prendre, le prix à la rampe de chargement, soit le coût d’acquisition de l’essence en gros, a fortement progressé au cours des derniers mois, passant de 81,2 cents le litre en moyenne en 2021 à plus de 120 cents le litre dans la première moitié de 2022. Ainsi, pour chaque dollar d’essence déboursé, il en coûte 65 cents en frais d’acquisition contrairement à 56 cents le litre en moyenne au cours de la dernière décennie.
Les taxes sur l’essence
Ah, les taxes ! En matière d’essence, non seulement sont-elles inévitables, mais elles représentent la deuxième plus grande composante du prix à la pompe après le prix du brut. C’est ce poste qui explique, pratiquement à lui seul, les différences de prix considérables entre le Québec et les États-Unis, et même avec les autres provinces. Cela dit, même s’il n’y a pas eu de changement dans la législation, les taxes ont augmenté d’environ 6 cents le litre jusqu’à maintenant en 2022 pour atteindre 56,3 cents le litre en moyenne. Ce changement est imputable à la TPS et à la TVQ, deux taxes ad valorem (en pourcentage), auxquelles l’essence est soumise. Ainsi, plus le prix de l’essence est important à la base, plus la TPS et la TVQ seront onéreuses.
Pour bien comprendre l’effet des taxes sur le prix de l’essence pour le contribuable automobiliste québécois une décomposition s’impose. D’abord, le consommateur est soumis à la taxe fédérale d’accise sur l’essence : un montant fixe de 10 cents par litre. Vient ensuite la taxe du Québec sur les carburants : un autre montant fixe de 19,2 cents par litre. Cette taxe peut cependant être réduite dans certaines régions frontalières, périphériques et spécifiques, comme mentionné précédemment. Pour les citadins du Grand Montréal, on ajoute une taxe de 3 cents par litre, perçue par le gouvernement du Québec et remise à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) comme contribution au transport en commun. Nous terminons évidemment avec la TPS et la TVQ, deux taxes à la consommation que l’on connaît et qui s’appliquent non seulement au prix, mais également à toutes les autres taxes. Vous avez bien lu, on taxe les taxes… On pense avoir trouvé notre troisième coupable, mais ce n’est pas le cas. La hausse du coût d’acquisition a été si fulgurante depuis janvier que la part des taxes dans la dépense a diminué. Pour chaque dollar dépensé en carburant, seulement 31 cents vont garnir les coffres de l’État (ce montant était à 38 cents en moyenne au cours de la dernière décennie).
Mais où va votre argent alors ?
Pas de secret. Depuis le début de l’année, c’est le coût d’acquisition, gonflé par le prix du brut, et le renflement de la marge de raffinage qui accaparent la part du lion. Pour chaque dollar dépensé à la station-service du coin par l’automobiliste montréalais, c’est 65 cents qui alimentent la filière pétrolière. Du jamais vu en 10 ans. Les taxes de vente, quant à elles, monopolisent 31 cents par dollar de vente. Les 4 cents restants viendront nourrir la famille de votre pompiste préféré (graphique).
Graphique | Comparaison des prix à la pompe pour chaque dollar d’essence ordinaire à Montréal
* Moyenne pour les six premiers mois de l’année
Source : Régie de l’énergie du Québec et calcul de l’auteur