La pénurie de logements locatifs : bien plus qu’un enjeu d’immigration
Les taux d’inoccupation sont en chute libre au pays depuis bientôt une décennie si l’on fait abstraction des deux années de pandémie. Notre capacité à construire des logements locatifs semble bien en deçà de la demande pour ce type d’habitation, et aucune région n’échappe à ce phénomène. Pour l’ensemble du pays, en début de 2024, il n’en coûte pas moins de 1 359 $ par mois pour un loyer de deux chambres à coucher, selon le plus récent rapport de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). C’est une hausse annuelle de 8 %, soit une progression nettement plus rapide que l’inflation. Cette moyenne cache une réalité de plus en plus préoccupante : les hausses de loyers sont encore plus salées pour les « nouveaux » locataires. La roue qui assurait le bon fonctionnement du marché du logement locatif semble s’être brisée. Que s’est-il passé ?
La construction au neutre
Au Québec, l’année 2023 est une annus horribilis pour ce qui concerne la construction résidentielle. Sont sorties de terre moins de 30 000 unités de logement, toutes catégories confondues, alors que la capacité productive tourne généralement autour de 60 000 unités. La récente hausse des taux d’intérêt n’est certainement pas étrangère à ce fort ralentissement, mais la hausse des coûts de construction observée au cours de la période de reprise postpandémique aura aussi joué un rôle décisif. La hausse des coûts aura dépassé les 20 % annuellement (graphique 1), et bien que la fluidité des chaînes d’approvisionnement du secteur se soit normalisée depuis et que la pression soit retombée, le mal est fait. L’ardeur des entrepreneurs en construction est passablement refroidie, les coûts de construction demeurant élevés en regard des revenus.
GRAPHIQUE 1
Hausse des coûts de la construction de bâtiments résidentiels
Source : Statistique Canada
Les nouvelles ne sont pas particulièrement bonnes non plus du côté de la main-d’œuvre qualifiée. Le taux de postes vacants est particulièrement élevé dans le secteur de la construction, et ce, malgré le ralentissement de l’activité. Au bas mot, il y avait en fin d’année dernière plus de 65 000 postes à combler à l’échelle du pays, dont 10 000 au Québec seulement. De plus, le secteur ne bénéficie pas de l’apport de sang neuf fourni par l’immigration, qu’elle soit permanente ou temporaire. Les données démontrent que les migrants sont en effet sous représentés, alors qu’ils ne comptent que pour 9 % des travailleurs de l’industrie. Une bonne part du problème de pénurie de main-d’œuvre dont souffre la construction au Québec pourrait probablement s’alléger si on s’attelait à embaucher davantage, et surtout, à mieux intégrer les immigrants.
Une forte pression de la demande
Du côté de la demande de logement, les sources de pressions s’accentuent depuis quelques années déjà. D’abord, le marché du travail reste résilient malgré la pandémie et le ralentissement économique que nous vivons. Le chômage se maintient à des niveaux historiquement faibles et la croissance des salaires parvient, malgré tout, à soutenir le marché immobilier de propriété. Après un certain relâchement des prix à Montréal et Québec l’an dernier, l’indice du prix des logements en propriété reprend, depuis plusieurs mois, sa tendance à la hausse. Les acheteurs potentiels se replient alors sur le marché locatif, démontrant à nouveau hors de tout doute les liens unissant ces deux marchés. La forte demande pour le logement locatif s’explique donc en partie par la faible abordabilité des habitations pour les propriétaires-occupants. Le phénomène est particulièrement probant chez les 15 à 24 ans qui ont profité de l’effervescence économique pour se tailler une position enviable sur le marché du travail, sans pour autant être en mesure d’accéder à la propriété. Certains iront jusqu’à dire qu’un problème d’équité intergénérationnelle se dessine actuellement au pays.
D’ordinaire circonscrites aux grands centres urbains, les pressions sur le secteur du logement se sont généralisées durant la pandémie, avec l’exode de nombreux travailleurs qui ont quitté les grands centres ou la banlieue pour aller vivre aux quatre coins du Québec. À titre d’exemple, les taux d’inoccupation à Trois-Rivières et à Drummondville étaient respectivement de 0,4 % et 0,5 % en 2023, alors que ce taux à Montréal oscillait autour de la moyenne nationale, déjà très faible, de 1,5 %. Pour mettre les choses en perspective, il y a un logement libre à Trois-Rivières pour chaque tranche de 250 logements répertoriés. Un marché à l’équilibre est réputé avoir une habitation disponible pour chaque tranche de 30 logements. Nous sommes loin du compte.
Et l’immigration dans tout ça ?
Du côté de l’immigration, les deux dernières années sortent complètement du lot. Certes, l’immigration permanente est en progression, mais c’est plutôt la hausse des résidents non permanents qui explique la forte progression de la population canadienne au cours des 24 derniers mois (graphique 2). Cette hausse, combinée au fait que les nouveaux immigrants ont une forte propension à louer, et que la nouvelle règle entrée en vigueur le 1er janvier 2023 empêche les étrangers non canadiens d’acquérir un bien immobilier pendant une période de 2 ans, est un des facteurs qui contribuent à la progression de la demande de logement locatif.
GRAPHIQUE 2
Sources de l’accroissement de la population canadienne
*seuls les 3 premiers trimestres sont disponibles pour 2023
Source : Statistique Canada
Les experts sont clairs, l’abordabilité a grandement diminué au pays. Les loyers ont augmenté plus rapidement que le salaire moyen et les faibles taux d’inoccupation placent les ménages, particulièrement ceux à faible revenu, dans une situation difficile. Que faire ?
Conclusion
Le modèle économique est suffisamment limpide : lorsqu’il y a décalage entre l’offre et la demande et que les prix s’échappent vers le firmament, il faut trouver un moyen de rehausser l’offre… et de calmer les pressions de la demande. Finalement, contenir la demande sera difficile, voire impossible. Les besoins en main-d’œuvre de notre économie sont trop importants pour espérer atténuer la pression sur le marché du logement avec une mesure de réduction marquée de notre accueil immigrant.
David Dupuis, économiste