Le don d’équité ou comment favoriser l’accès à la propriété de la prochaine génération
L’engouement pour le marché immobilier ne se dément pas malgré la pandémie. L’excellente tenue du revenu disponible, évidemment dopé par les programmes d’aide gouvernementale, la faiblesse historique des taux hypothécaires, combinée à la quête d’espace en cette ère de télétravail, se sont avérées suffisantes pour dynamiser le secteur du logement à l’échelle du Québec. Le nombre de transactions effectuées ne cesse de progresser depuis le printemps 2020 et la valeur des propriétés continue d’augmenter sans essoufflement apparent.
Bien que l’immobilier demeure généralement beaucoup plus accessible au Québec que dans d’autres provinces canadiennes, la plupart des indicateurs d’abordabilité se sont récemment détériorés. Le prix de vente moyen atteignait 450 000 $ au Québec en juin 2021 selon l’Association canadienne de l’immeuble, une progression de près de 100 000 $ sur douze mois; de quoi décourager les jeunes ménages qui sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur leur capacité à accéder à la propriété, et pour cause. En considérant l’évolution récente du prix de vente moyen, une mise de fonds de 5 % sur la propriété est passée de 17 500 $ à 22 500 $ en un an. Le rêve d’être propriétaire s’éloigne de la réalité.
Comment aider la prochaine génération à accéder à la propriété?
Êtes-vous familier avec le « don d’équité »? Un moyen créatif d’aider les jeunes qui souhaiteraient acquérir la résidence ou le chalet familial, un terrain ou un immeuble locatif. Le don d’équité consiste à céder à un enfant ou à un proche parent une propriété détenue par un autre membre de la famille, à un prix réduit. L’écart entre le prix ajusté et la valeur marchande sera considéré comme « un don » et remplacera ou bonifiera la mise de fonds de l’acquéreur. Dans tous les cas, la valeur marchande de la propriété devra être évaluée par un professionnel pour valider la légitimité de la transaction.
Il s’agit d’une pratique tout à fait légale qui permet au bénéficiaire du don d’acquérir une propriété sans aucune mise de fonds. Attention, toutefois, cette façon de faire ne met pas le donateur à l’abri du fisc. Le bien immobilier faisant l’objet du don sera traité comme s’il avait été vendu à sa juste valeur marchande, soit le prix le plus élevé qui peut être obtenu dans un marché libre. Ce prix devra être ici « estimé » par un évaluateur professionnel externe. Le but étant d’éviter que le vendeur ne gonfle la valeur de sa résidence ou en sous-évalue le prix afin d’avantager l’une ou l’autre des parties impliquées.
D’entrée de jeu, le don d’équité n’est possible que si le donateur détient une valeur nette sur la propriété, c’est-à-dire que la valeur marchande de la propriété est supérieure au solde hypothécaire. C’est d’une certaine façon assez logique, un individu ne peut pas donner ce qu’il ne possède pas, non?
Lors du don d’équité, la transaction immobilière, bien que basée sur la valeur marchande réelle du bien immobilier, sera effectuée à une valeur moindre. La différence entre la juste valeur marchande du bien et le montant « officiel » de la transaction sera considérée comme un don d’équité, un généreux don qui va du vendeur vers l’acheteur. Le don servira ici de mise de fonds pour l’acheteur dont l’hypothèque sera moindre que la valeur marchande de la propriété. Quant au prêteur hypothécaire, il exigera, dans la majorité des cas, une lettre officielle attestant de l’irrévocabilité du don.
Rien de mieux qu’un exemple
Les grands-parents de Maja ont décidé de lui vendre leur résidence principale. La juste valeur de la résidence a été évaluée à 450 000 $ par un expert, mais ils désirent la céder à leur petite-fille pour la somme de 350 000 $. Le montant du don correspond alors à 100 000 $, soit la différence entre la juste valeur estimée et le réel coût d’acquisition pour Maja. Le don assure à Maja une mise de fonds d’environ 22 %. Puisque cette somme est supérieure à 20 % de la valeur de la maison, Maja pourra éviter l’assurance prêt hypothécaire pouvant atteindre 4,50 % de la valeur du prêt. Une économie substantielle dans notre exemple.
Évidemment, il est possible que le don d’équité ne soit pas suffisant pour couvrir la mise de fonds au minimum requis de 5 % (22 500 $ dans notre exemple). Maja aurait alors pu bonifier cette dernière avec ses économies personnelles ou celles de son conjoint. De plus, dans la plupart des cas, le don d’équité peut être appliqué en même temps que d’autres programmes d’aide financière offerts aux acheteurs, notamment l’Incitatif à l’achat d’une première propriété, ou le régime d’accession à la propriété (RAP).
Même si le don d’équité prévoit que la maison familiale sera vendue « à rabais » afin qu’un certain montant puisse servir de mise de fonds, du point de vue fiscal, la transaction doit s’appuyer sur la juste valeur marchande de la propriété. Cela dit, comme les grands-parents de Maja habitent la propriété et qu’ils en ont toujours fait leur résidence principale, ils peuvent procéder à la transaction sans qu’il y ait d’impact fiscal. Le lecteur se souviendra que le gain en capital empoché lors de la vente de la résidence principale est exempt d’impôt.
Autre bonne nouvelle pour Maja : puisque la transaction s’effectue au sein de la famille le long d’une branche montante de l’arbre généalogique, elle n’aura pas à payer les droits sur les mutations immobilières (la fameuse « taxe de bienvenue »). Cette exemption est valide quand on accède à la propriété par legs ou par achat et que l’on se déplace vers le haut ou vers le bas de l’arbre généalogique, c’est-à-dire, de grands-parents à parents ou à enfants, ou des enfants à leurs parents ou à leurs grands-parents. Lorsqu’on sait que le droit de mutation peut coûter quelques milliers de dollars, ça devient tout de même intéressant de racheter la maison familiale. Petit bémol, vous l’aurez compris, selon cette définition, l’exemption à cette taxe ne fonctionne pas entre frères et sœurs.
Et si les grands-parents de Maja lui avaient vendu le chalet?
En supposant que les valeurs monétaires ne changent pas dans notre précédent exemple. Que se serait-il passé si l’objet du don avait été une résidence secondaire plutôt qu’une résidence principale? Comme nous l’avons vu, les dons de biens sont traités comme une vente à la juste valeur marchande. Dans le cas de la vente d’une résidence secondaire (d’un terrain ou d’un immeuble locatif), les grands-parents de Maja devront payer de l’impôt sur le gain en capital réalisé. Puisqu’ils avaient acheté le chalet moyennant une somme de 125 000 $ il y a belle lurette, leur gain en capital s’élève à 325 000 $, soit la juste valeur marchande moins le coût d’acquisition. La moitié du gain en capital étant imposable, 162 500 $ devront être ajoutés à la déclaration de revenus des donateurs. En supposant un taux marginal d’imposition de 50 %, un impôt additionnel de 81 250 $ sera ainsi généré pour les grands-parents de Maja.
Mot d’ordre : faites-vous accompagner
Le don d’équité est une façon intéressante de favoriser l’accès à la propriété pour la prochaine génération. Les règles encadrant le processus sont simples et les impacts fiscaux généralement prévisibles. Cependant, pour naviguer entre l’évaluation de la juste valeur, la lettre officialisant le don d’équité et la gestion des impacts fiscaux, il est préférable d’être bien accompagné. Comme pour toute transaction de cette envergure, d’ailleurs.