Le prix de l’or noir et vous
Comment le prix du pétrole est-il établi sur le marché?
D’entrée de jeu, il faut savoir qu’il n’y a pas « un » prix, mais « des » prix du pétrole. La distinction à faire est au niveau de la qualité qui entre dans un baril. Cela est important, car on trouve plus de 150 qualités de pétrole sur le marché.
Le gisement
Un baril de pétrole provient de puits qui ne sont pas tous identiques. La qualité du puits varie en fonction de la densité du pétrole et des impuretés qu’il contient, notamment le soufre. La qualité du gisement influence le coût qui devra être déboursé pour transformer ce pétrole en essence pour les voitures. Cela influence le prix que les producteurs réclameront pour vendre leurs barils à un raffineur.
Le pétrole c’est un marché énorme. Chaque jour, on produit plus de 95 millions de barils de pétrole dans le monde. Impossible de valider la qualité de chaque baril. Alors, comment s’y retrouver pour fixer un prix par baril?
Trois références mondiales
Les joueurs mondiaux du pétrole ont organisé leur système autour de trois repères qui déterminent le prix auquel ils s’échangent un baril de pétrole. Il s’agit du prix du Brent, du West Texas intermediate (WTI) et du Dubai light.
Le Brent, c’est le pétrole européen de la mer du Nord. C’est un pétrole léger naturellement contenu dans un réservoir rocheux étanche. Il est plus simple à produire que le pétrole lourd des sables bitumineux de l’Alberta qui est emprisonné dans un mélange de sable et d’argile. Un baril de Brent est en fait un mélange de près d’une vingtaine de types de pétrole issus de la mer du Nord.
Le WTI est également un pétrole de haute qualité qui provient des États-Unis. Un baril de WTI a une bonne densité et est pauvre en soufre, ce qui fait en sorte qu’il est possible de produire plus d’essence avec un baril de WTI que pour la plupart des autres pétroles bruts.
Quant au Dubai light, c’est le pétrole du golfe Persique extrait aux Émirats arabes unis. Il est plus lourd et plus riche en soufre que les deux autres, mais il est le repère utilisé par les marchés asiatiques.
Si le WTI est le prix de référence en Amérique du Nord, le Brent quant à lui est ce qui ressemble le plus à un prix « mondial » du pétrole. On peut livrer du Brent dans la presque totalité des ports pétroliers du monde. Le Brent a donc un grand accès au marché mondial.
L’évolution des prix
Les prix du Brent et du WTI évoluent à l’unisson, mais il existe quand même un écart entre les deux. La qualité du pétrole explique l’écart de base, mais ce n’est pas tout.
Par exemple, l’évolution de la demande intérieure aux États-Unis ou encore des événements climatiques, tels que les ouragans dans le golfe du Mexique, changent les choses. Ces phénomènes ont un impact sur le prix global du pétrole, mais, dans ces cas, l’effet sera plus important sur le WTI que sur le Brent compte tenu de la géographie.
Les coûts de transport et de stockage du pétrole diffèrent aussi entre le Brent et le WTI. Par exemple, il en coûte approximativement de 3 $ à 4 $ pour faire transiter un baril sur un pétrolier de l’Europe vers les États-Unis. En ce qui concerne le stockage, les coûts varient également entre l’Europe et les États-Unis. À titre de règle générale, l’écart du prix entre le Brent et le WTI, dans un marché normal, oscille autour d’une prime entre 2,50 $ et 4 $ par baril en faveur du WTI.
La géopolitique
Les facteurs géopolitiques peuvent produire des écarts importants entre le Brent et le WTI. Au début de l’année 2011, l’écart entre le Brent et le WTI était modeste (figure). Par la suite, cet écart a pris de l’ampleur. C’est l’incertitude liée au Printemps arabe de février 2011 qui en est responsable. Le marché craignait alors que le canal du Suez en Égypte puisse être fermé, ce qui aurait exercé une pression à la hausse considérable sur le prix du Brent en raison d’un accès plus difficile à ce type de pétrole. Au fur et à mesure que les tensions géopolitiques se sont estompées, le prix du Brent est revenu vers le prix du WTI.
Autre exemple, vers la fin de 2011, le gouvernement iranien a menacé de fermer le détroit d’Ormuz par lequel transite 20 % du flux pétrolier mondial. Le Brent s’est échangé à ce moment-là avec une prime d’environ 25 $ US par baril comparativement au prix du WTI. Ainsi, en matière de prix du pétrole, la géopolitique joue un rôle fondamental.
La production
Si les trois prix de référence mondiaux évoluent généralement dans le même sens, quels sont les facteurs qui influencent la direction générale du prix?
La production mondiale de pétrole est un facteur. Par exemple, depuis 1973, les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) limitent à environ 60 % leur contribution à la production mondiale. Toutefois, entre 2011 et 2014, la production américaine de pétrole de schiste (le pétrole non conventionnel) a doublé. Ce nouvel afflux de barils qui se poursuit a entraîné une baisse du prix du pétrole au cours des dernières années.
La différence entre les producteurs conventionnels et non conventionnels tourne beaucoup autour du coût de production d’un baril. En fait, l’OPEP cesse de faire de l’argent lorsque le prix du baril passe sous la barre de 20 $, alors que les producteurs non conventionnels ont besoin d’un prix oscillant entre 40 $ et 50 $ par baril pour financer leurs opérations. Un véritable bras de fer oppose ces deux joueurs du marché. Si l’OPEP souhaite voir baisser le prix du pétrole, elle choisira d’augmenter sa production. Si le prix devient trop élevé, les producteurs non conventionnels accapareront une part plus grande du marché. Un équilibre se forme en permanence entre ces deux intérêts.
Les réserves
Un autre facteur important est l’accès que le marché peut avoir au pétrole déjà produit. Cet accès est tributaire des réserves mondiales de pétrole.
Par exemple, les États-Unis ont constitué une réserve stratégique de pétrole. Ces barils sont donc en réserve et peuvent être rapidement déversés sur le marché si jamais les prix s’emballent. L’état des réserves de pétrole sur la planète participe donc à la fixation du prix du pétrole sur le marché mondial.
La demande
Finalement, il y a la demande mondiale de pétrole. Cette dernière dépend de divers facteurs. Il y a bien sûr une évolution fondée sur des facteurs saisonniers. En effet, il se consomme plus d’essence pour les voitures en période estivale et de vacances. La demande est aussi tributaire de facteurs météorologiques : des hivers plus rigoureux impliquent une consommation accrue de mazout, donc de barils de pétrole.
De manière plus fondamentale, l’état général de l’économie mondiale a une grande influence sur le prix du baril de pétrole. Plus l’économie tourne, plus les barils de pétrole sont consommés, et plus une pression à la hausse du côté de la demande s’exerce sur l’ensemble « des » prix du pétrole.
Sur ce point, la demande américaine est la clé du jeu. Les États-Unis (environ 4,5 % de la population mondiale) à eux seuls consomment un peu plus de 20 % du pétrole mondial. À titre de comparaison, la consommation de l’Inde (environ 17,5 % de la population mondiale) représente à peine 4,5 %; cela veut dire qu’il est encore important de regarder au sud de notre frontière pour comprendre le prix du pétrole.
Les outsiders
L’investissement influence les prix du pétrole en transitant par le marché à terme. Ce marché est un endroit bizarre où l’on ne livre jamais un baril de pétrole. Il sert à la gestion du risque pour les acheteurs et les producteurs. On y fixe à l’avance le prix d’une transaction future pour un baril de pétrole qui est souvent encore dans le sol. Ce marché est lorgné par de nombreux investisseurs qui y voient une opportunité de diversification de placements. Cet attrait engendre d’énormes mouvements de capitaux qui, pour des raisons parfois étrangères au domaine pétrolier, influencent la direction du prix du pétrole. Qui sont ces outsiders? Et bien, si vous possédez un pécule de retraite bien investi, il y a des chances pour que cet outsider soit vous!