Les avantages financiers de l’incorporation : étude de cas
Joanne Lebel, CPA, Pl. Fin., LL.M. Fisc.
Planificatrice financière et fiscaliste
Sofia a 35 ans et se demande si l’incorporation de sa pratique aurait réellement des avantages pour elle : « Aurais-je des réductions d’impôt ? Une capacité d’épargne plus importante ? À combien s’élèveraient mes frais d’avocat et comptables ? Quand est-il pertinent de m’incorporer ? »
L’un des principaux avantages de l’incorporation est le report d’impôt sur les sommes accumulées et laissées dans la société, autrement payables sur le revenu de profession. L’accumulation de l’épargne se fait donc plus rapidement.
Sans l’incorporation et à titre de travailleuse autonome, Sofia paierait de l’impôt sur la totalité de son revenu annuel de 300 000 $ au taux marginal maximum de 53,31 %, et ne pourrait en différer l’imposition dans le temps.
Une étude du coût de vie de Sofia s’avère donc essentielle pour prendre la décision de s’incorporer.
Le cas de Sofia : hypothèses retenues
Puisque Sofia envisage de prendre sa retraite dans une trentaine d’années, l’incorporation de sa pratique médicale devrait donc être avantageuse considérant qu’elle pourra laisser des sommes s’accumuler, à long terme, au sein de sa société.
En revanche, si elle souhaitait prendre sa retraite à un âge plus jeune, l’augmentation récente du taux d’inclusion du gain en capital à 66,67 % pourrait changer la donne et un statut de travailleuse autonome pourrait être préférable.
En outre, à titre d’actionnaire de sa société, Sofia pourrait se rémunérer par une combinaison optimale de salaire et dividende selon son coût de vie et en fonction de ses futurs projets. Une analyse effectuée en collaboration avec son expert-comptable serait à considérer. Pour le scénario présenté ici, nous avons retenu une rémunération par salaire uniquement.
Par le versement d’un salaire, Sofia pourra accumuler des droits de cotisation à son Régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Ainsi, elle accumulera des économies au sein de sa société et aussi à titre personnel. Cette rémunération lui permettra également de cotiser au Régime des rentes du Québec (RRQ) en plus du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) pour éventuellement recevoir une rente annuelle de retraite et une prestation de congé parental, élément bien important puisqu’elle songe à avoir un enfant. Si ce projet d’enfant se réalisait à court terme, Sofia pourrait avoir avantage à reporter l’incorporation de sa société d’une année.
Sofia est en couple avec Jérémy, son conjoint de fait. Le couple maintient une comptabilité séparée. Sofia et Jérémy possèdent une maison grevée d’une hypothèque. Le coût de vie net annuel de Sofia est de 85 000 $ par an.
Ceci inclut sa quote-part du paiement de l’hypothèque ainsi que sa participation aux dépenses du ménage.
L’avantage de l’incorporation : reporter l’impôt sur les sommes laissées dans la société
La pratique médicale de Sofia génère des revenus professionnels nets (avant salaire, impôts et charges sociales) de 300 000 $, déductions faites des dépenses d’affaires. Les frais supplémentaires liés à la société (honoraires professionnels) sont de 4 000 $ par année.
Sofia souhaite maximiser son REER et son compte d’épargne libre d’impôt (CELI), dont les droits sont respectivement de 31 560 $ et 7 000 $ en 2024. Afin de couvrir le tout, nous proposons un salaire de 180 500 $ sans aucun versement de dividende.
TABLEAU COMPARATIF :
Revenus gagnés personnellement ou via une société par actions (SPA)
Revenu net professionnel : 300 000 $
Dépenses courantes (niveau de vie) : 85 000 $
Hypothèses utilisées pour la société : Salaire personnel, aucun dividende
SANS SOCIÉTÉ | AVEC SOCIÉTÉ | |
Revenu net professionnel | 300 000 $ | 300 000 $ |
Frais supplémentaires (honoraires professionnels) | s.o. | -4 000 $ |
Salaire versé à l’actionnaire-dirigeante | -180 500 $ | |
Charges sociales de l’employeur | -7 977 $ | |
Revenu imposable au niveau de la société | 107 523 $ | |
Impôts estimés au niveau de la société (20,5 % en 2024) | -22 042 $ | |
Surplus disponible laissé dans la société | 85 481 $ | |
TRAVAILLEUR AUTONOME | SALARIÉ DE LA SOCIÉTÉ | |
Revenus | ||
Revenu net professionnel ou salaire | 300 000 $ | 180 500 $ |
Cotisation REER | -31 560 $ | -31 560 $ |
Charges sociales : RRQ / RQAP / FSS | -10 521 $ | -4 812 $ |
Total | 257 919 $ | 144 128 $ |
Impôts estimés au niveau personnel (en 2024) | -104 069 $ | -47 355 $ |
Somme disponible après impôts | 153 850 $ | 96 773 $ |
Niveau de vie estimé | -85 000 $ | -85 000 $ |
Surplus budgétaire disponible au niveau personnel | 68 850 $ | 11 773 $ |
REER | 31 560 $ | 31 560 $ |
Surplus laissé dans la société | s.o. | 85 481 $ |
Investissement potentiel total | 100 410 $ | 128 814 $ |
Somme additionnelle pouvant être investie dans la société par actions de Sofia | 28 404 $ |
À titre de travailleuse autonome, Sofia dégagerait un surplus budgétaire de 68 850 $ lui permettant de cotiser à son CELI en plus de lui laisser environ 60 000 $ pour de l’épargne, des projets ou le paiement de dettes une fois ses impôts payés.
Cependant, en choisissant l’incorporation de sa pratique médicale, en plus de maximiser sa cotisation à son REER et de bénéficier d’un surplus budgétaire de 11 773 $ pour cotiser à son CELI, Sofia dégage un avantage fiscal additionnel de plus de 28 404 $ relié aux impôts reportés sur la somme de 85 481 $ laissée dans sa société.
Les sommes accumulées au sein de sa société chaque année (2024 : 85 481 $), fructifieront jusqu’au décaissement, soit dans un horizon temporel d’une trentaine d’années. Les revenus de placements et gains en capital sur cette somme sont imposables dans la société.
Une fois à la retraite, au commencement de la période de décaissement, son taux d’imposition personnel sera possiblement inférieur à celui payé durant sa vie active. Pour le décaissement des fonds détenus dans sa société, il y aura une imposition sous forme de dividendes ordinaires qui pourront être étalés sur plusieurs années.
Notez que nous prenons pour hypothèse que la société de Sofia est admissible à la déduction pour petite entreprise (DPE) au fédéral (revenus passifs < 50 000 $), assujettie au taux d’imposition de 9 %, mais non au Québec (ne se qualifiant pas au critère des 5 500 heures rémunérées), où elle est au taux d’imposition de 11,5 %.
En tant qu’actionnaire-dirigeante de sa société, sa succession sera admissible à une prestation consécutive au décès non imposable de 10 000 $.
Sofia doit s’attendre à défrayer certains coûts afin de remplir ses obligations juridiques et fiscales, dont les frais de constitution à payer au moment de l’incorporation de sa société par actions. Diverses résolutions juridiques et fiscales, ainsi que la production d’états financiers et de déclarations annuelles de revenus sont à prévoir.
En plus de devoir déclarer sa société au Collège des médecins du Québec (CMQ), de s’inscrire à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et au Registraire des entreprises du Québec (REQ), Sofia devra tenir à jour son livre des procès-verbaux.
* Avis de non-responsabilité : ce cas est fictif. Les impôts sont estimatifs. Des simulations personnalisées sont nécessaires.