Marchés émergents : y être ou ne pas y être, telle est la question – I
Plusieurs articles de nature économique et financière s’avèrent particulièrement intéressants. Ainsi, nous vous présentons la première partie d’un article paru dans les numéros de novembre et de décembre 2004 de la publication Avantages, lequel s’avère encore tout aussi pertinent en 2006.
Marchés émergents : y être ou ne pas y être, telle est la question
Du fait de leur taux de croissance ainsi que de leur formidable potentiel de développement, les marchés émergents, notamment la Chine et l’Inde, suscitent à l’heure actuelle un grand intérêt auprès de beaucoup d’investisseurs. Plusieurs d’entre eux sont toutefois hésitants parce qu’ils estiment que leur connaissance de ces marchés est insuffisante. D’autres ont en mémoire les importantes crises financières qui ont frappé ces marchés durant la deuxième moitié des années 90.
Dans cet article, premier d’une série de deux, nous identifions les marchés émergents et présentons les caractéristiques qui permettent de les distinguer des marchés développés et des marchés frontières. Des éléments comme la taille (PIB, capitalisation boursière), la richesse par habitant, la liquidité, le degré d’ouverture, la corruption et la qualité de la gouvernance sont analysés. L’ensemble de ces critères permettent de qualifier et de circonscrire la notion de marché émergent.
L’ensemble des marchés émergents considérés par les fournisseurs d’indices (Morgan Stanley Capital International, MSCI et Standard & Poor’s, S&P) ne forment pas un ensemble homogène et cachent des réalités fort différentes. À titre d’exemple, un large fossé sépare le marché ayant la plus importante capitalisation boursière (la Corée du Sud) et celui ayant la plus petite capitalisation boursière (la Colombie). Les critères qui caractérisent les marchés émergents diffèrent également de manière importante d’un pays à l’autre. De plus, les frontières du groupe des marchés généralement considérés comme émergents ne sont pas étanches. Les marchés émergents les plus importants en termes de capitalisation boursière, pouvant à bien des égards se qualifier de marchés aussi développés que les plus petits des marchés développés alors que les plus petits marchés émergents, de leur côté, peuvent se voir détrôner par des marchés de pays dits frontières.
Cet article ne présente donc pas une définition précise des marchés émergents, mais plutôt tente d’éclairer les lecteurs sur les principaux critères généralement retenus pour les qualifier. Le deuxième volet de cet article, à paraître dans le prochain numéro, sera consacré à la présentation du profil risque/rendement et du potentiel de diversification associés aux marchés émergents.
Caractérisation des marchés émergents
L’absence d’une définition formelle
À l’heure actuelle, il n’existe pas de définition universellement acceptée du concept de marché émergent. Des pays comme la Chine, la Corée du Sud, le Mexique ou le Brésil viennent immédiatement en tête lorsqu’on pense aux marchés émergents. Toutefois, ce ne sont que 4 marchés parmi la trentaine qui sont considérés émergents par l’un ou l’autre des fournisseurs d’indices. En l’absence d’une définition formelle, une question fondamentale se pose : sur quelles bases se fonde-t-on pour établir qu’un marché peut être qualifié d’« émergent »? Nous débutons cette présentation des marchés émergents en tentant de répondre à cette question.
S’il n’existe pas de définition qui fasse consensus, il y a tout de même plusieurs caractéristiques qui permettent de qualifier les marchés d’émergents. De façon générale, on considère émergentes les économies situées entre les pays en voie de développement et les pays développés. Il faut toutefois reconnaître que cette définition est trop large pour être utile en pratique. Divers éléments comme le PIB par habitant, l’environnement macroéconomique, la taille du marché et de ses entreprises, la liquidité et le degré de corruption permettent de faire la part entre les marchés émergents et les autres marchés. En combinant de tels critères, les fournisseurs d’indices S&P et MSCI arrivent sensiblement au même ensemble de marchés pour la construction de leurs indices respectifs représentant la performance des marchés émergents. Dans les faits, tous les marchés considérés émergents par MSCI le sont aussi par S&P, mais ces derniers vont inclure 7 marchés supplémentaires. Au total 33 marchés sont considérés émergents selon que l’on se réfère à l’un ou l’autre de ces deux fournisseurs d’indices. La liste des 33 marchés est présentée au tableau 1. Par la suite, nous considérons la liste des 26 marchés communs aux deux indices pour ce qui est des comparaisons entre les divers marchés.
Tableau 1 – Liste des marchés considérés comme émergents
De grandes disparités au niveau de la taille
Une première analyse des marchés candidats passe par l’examen de la taille de l’économie telle que mesurée par le PIB. Ensuite, une attention particulière est portée à la taille du marché boursier, i.e. à la capitalisation boursière. L’économie ne doit être ni trop grande, ni trop petite. À tout le moins, si la taille de l’économie est très grande, la capitalisation boursière doit être faible par rapport au PIB. Si la taille de l’économie est plus faible, d’autres éléments devront compenser. De façon générale, des différences significatives existent entre les marchés émergents et les marchés développés au niveau des capitalisations boursières, du PIB, du ratio capitalisation boursière sur PIB et du PIB par habitant. À l’intérieur même du groupe des marchés émergents, les disparités sont énormes. Le tableau 2 présente les plus grands et les plus petits marchés du groupe des 26 marchés émergents en termes de capitalisation boursière ouverte, de PIB et de PIB par habitant.
La capitalisation boursière la plus élevée du groupe des 26, celle de la Corée du Sud, est plus de 150 fois plus élevée que celle de la Colombie (plus faible capitalisation du groupe). Le ratio du plus grand PIB du groupe (la Chine) et du plus petit (la Jordanie) est du même ordre de grandeur. Les disparités sont par contre moins grandes au niveau du ratio capitalisation boursière sur PIB. Aucun des 26 pays ne présente un ratio supérieur à 0,75. Il existe aussi une certaine dispersion au niveau du PIB par habitant. Quatre marchés (Israël, la Corée du Sud, la république Tchèque et la Hongrie) apparaissent ici comme des exceptions avec un PIB par habitant supérieur à 14 000 $. Une coupure nette sépare le PIB par habitant de ces 4 pays de ceux des autres marchés émergents qui se situent tous en bas de 10 000 $. Deux pays du groupe des 26 présentent un PIB par habitant inférieur à 3 000 $ (Inde et Pakistan). Le tableau 2 permet aussi d’identifier parmi les 26 marchés émergents ceux qui sont les plus près d’être considérés comme développés et ceux qui présentent des caractéristiques macroéconomiques à peine suffisantes pour être considérés comme émergents. Ainsi la Corée du Sud, la Chine et le Brésil, qui apparaissent deux fois parmi les 5 premiers, seraient si l’on se base sur ces critères macroéconomiques, les marchés émergents les plus proches des marchés développés. À l’autre extrémité, la Jordanie et le Pakistan seraient les marchés les plus semblables aux marchés en développement en termes économiques.
Tableau 2 – Capitalisation boursière ouverte à l’investissement étranger pour certains marchés émergents (en milliards de $US – en date du 31 décembre 2003)
PIB pour certains marchés émergents (en milliards de $US – 2002)*
PIB par habitant pour certains marchés émergents (en $US – 2002)*
Source : Rimes, Institut de la Statistique du Québec
* Les taux de conversion des monnaies étrangères en $US
sont calculés selon la parité des pouvoirs d’achat
Il peut aussi être intéressant de comparer les caractéristiques macroéconomiques de certains marchés émergents avec celles des marchés développés. On peut alors constater que les 5 premiers marchés émergents en termes de capitalisation boursière présentent une capitalisation supérieure à 7 des 23 marchés considérés comme développés. Toutefois, les 9 plus grandes capitalisations demeurent toutes associées à des marchés développés. Au niveau du PIB exprimé en termes de parité des pouvoirs d’achat, il est intéressant de noter que la Chine, l’Inde et le Brésil occupaient en 2003, les 2e, 5e et 11e échelon du classement mondial. Finalement, au niveau du PIB par habitant, seul Israël arrive à devancer l’un des 23 marchés développés.
La liquidité est-elle au rendez-vous ?
Au-delà d’une taille et d’une capitalisation boursière suffisante, l’attrait d’un pays pour les investisseurs étrangers va dépendre de son degré d’ouverture face à ces derniers et de la liquidité qu’il leur offre. De façon indirecte, on peut tenter de prévoir la liquidité d’un titre en particulier par la taille de l’entreprise qu’il représente. Le nombre de titres inscrits sur les bourses des marchés émergents est sensiblement le même que pour les marchés développés. Or, la capitalisation boursière des pays émergents est en moyenne plus faible que celle des marchés développés. La taille moyenne des entreprises doit donc être plus faible dans les marchés émergents. Sans conclure que la liquidité offerte dans les marchés émergents est insuffisante, on peut affirmer qu’elle est à tout le moins plus faible que dans les marchés développés. De façon plus directe, la liquidité d’un marché peut être évaluée à partir des ratios de roulement. Ces ratios sont calculés comme le ratio du montant négocié en un mois sur le montant de la capitalisation boursière totale. Un ratio de 5 % représente approximativement le seuil entre un marché émergent et un marché développé. À titre de comparaison, le ratio de roulement du New York Stock Exchange se situe habituellement entre 8 et 9 % pour un mois. Mentionnons que la Corée du Sud, Taiwan et la Turquie apparaissent comme les marchés émergents les plus liquides avec des ratios supérieurs au seuil de 5 %.
Le degré d’ouverture des marchés émergents est un point qui s’est beaucoup amélioré au cours des deux dernières décennies. En date du 1er janvier 2004, 19 des 26 marchés émergents étaient considérés ouverts à raison de 100 % à l’investissement étranger. Dans les autres pays, les restrictions à l’investissement étranger peuvent notamment prendre l’une ou l’autre des formes suivantes :
- classe d’actions spéciales pour les actionnaires étrangers;
- secteurs complets fermés à l’investissement étranger (ex. : secteur bancaire et médias);
- limite sur les pourcentages des actions que peut détenir un seul actionnaire;
- limite nationale sur la propriété étrangère agrégée.
La corruption et les autres problèmes structurels
Les éléments présentés jusqu’ici sont plutôt de nature quantitative. Toutefois, plusieurs éléments de nature plus qualitative permettent, lorsqu’ils sont examinés conjointement avec les points précédents, d’avoir une image plus claire de ce qui constitue un marché émergent. Des problèmes structurels comme la corruption, un système judiciaire déficient, des normes comptables inadéquates ou encore l’absence de mécanisme de réglementation propre à encourager l’investissement étranger sont autant d’éléments qui distinguent les marchés émergents des marchés développés. Un problème plus général découle de ces éléments: le manque de transparence. Ce problème est critique dans la mesure où il complique la tâche des investisseurs qui cherchent à obtenir de l’information pour pouvoir développer des anticipations de rendement et de risque. Même si ces éléments sont de nature qualitative, il est possible de les quantifier en étudiant des mesures comme l’indice d’opacité O-Factor de PricewaterhouseCoopers, le International Institute for Management Development (IMD) World Competitiveness Index et le Corruption perception index (CPI) publiés annuellement par Transparency International. Ces trois mesures sont fortement corrélées et l’examen de l’une ou l’autre permet de jauger la sévérité des problèmes structurels qui affligent les divers marchés émergents. Parmi les principaux pays qui souffrent de problèmes d’opacité et/ou de corruption, il convient de mentionner les cas plus inquiétants de la Chine, de l’Indonésie, de la Russie et de la Turquie.
Conclusion
En raison de leur importance démographique et économique, de leur forts taux de croissance du PIB ainsi que de leur impact potentiel sur le reste de l’économie mondiale, la Chine et l’Inde sont deux marchés incontournables dans toute réflexion sur les prévisions de rendement et de risque à long terme des différentes catégories d’actif. Ces deux marchés viennent immédiatement à l’esprit lorsqu’on parle de marchés émergents, pourtant la définition de marché émergent cache des réalités très différentes. L’importance du PIB n’est pas le seul critère retenu par les fournisseurs d’indices (MSCI ou S&P) pour qualifier un marché d’émergent. En termes de capitalisation boursière ouverte, la Chine et l’Inde ne figurent pas dans les 4 premiers marchés émergents (Corée du Sud, Afrique du Sud, Taïwan et Brésil), alors que ces derniers sont plus grands que plusieurs marchés développés. D’autres critères comme le PIB par habitant, le degré d’ouverture face aux investisseurs étrangers, la liquidité ainsi que la transparence et la qualité de la gouvernance sont des critères essentiels qui permettent de distinguer les marchés émergents des marchés développés ou des marchés frontières.
Alors que la première partie de cet article porte essentiellement sur la caractérisation des marchés émergents, la seconde qui paraîtra dans le prochain numéro présentera le profil risque/rendement des marchés émergents ainsi que leur performance historique. Elle permettra, nous l’espérons, d’éclairer les investisseurs sur l’attrait qu’exercent les marchés émergents. Nous examinerons la question suivante : rendements des marchés émergents, mirage ou réalité?
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