Mettre la crise en perspective
Depuis l’automne dernier, on peut difficilement passer une journée sans entendre parler, lire ou voir à la télé un reportage ou une manchette qui fait écho à la crise économique qui sévit à l’échelle de la planète. Seule bonne nouvelle, que tout le monde semble vouloir ignorer, l’histoire nous enseigne que chaque crise connaît un dénouement et celle que nous traversons ne fera donc pas exception.
À chaque jour qui passe – et avec une constance alarmante – le portrait général de l’économie mondiale ne fait que s’assombrir.
Chaque nouvelle prévision d’économistes nous apprend que la récession va être plus grave que ce qui avait été jusque-là escompté, qu’elle sera plus longue que prévu et que la reprise sera beaucoup moins rapide et spectaculaire qu’on ne l’anticipait.
De plus en plus, certains évoquent même, sans scrupule aucun, le spectre de la réédition de la Grande dépression des années 30. S’il s’agit certes d’une analogie évocatrice, elle est cependant nettement exagérée.
Le monde a changé depuis les années 30, celui de la finance et de l’économie aussi. Pas toujours pour le mieux, comme les derniers dérapages du papier commercial adossé à des actifs nous l’ont brutalement rappelé, mais, de façon générale, les hommes ont appris de leurs erreurs et le système financier est beaucoup mieux outillé aujourd’hui pour faire face à la crise qu’il ne l’était à l’époque.
Une crise sans précédent
Il faut d’abord rappeler quelques éléments qui ont caractérisé la plus grave crise économique de l’histoire moderne. La crise de 1929 a pris son origine avec le krach boursier d’octobre 1929, lorsque la bourse newyorkaise s’est littéralement effondrée. Ce krach s’est poursuivi durant trois ans, au cours desquels la valeur moyenne des titres a chuté de 80 %.
Beaucoup de petits investisseurs avaient emprunté à la banque pour « jouer » à la bourse et beaucoup de banques avaient elles-mêmes investi directement à la bourse. De 1930 à 1933, quelque 9 000 banques américaines ont fait faillite, entraînant avec elles 15 % de l’épargne totale aux États-Unis.
Comme cela a été le cas en octobre et novembre derniers, on s’est retrouvé durant les années 30 dans une situation de « credit crunch ». Les banques n’avaient plus de liquidités pour financer les individus et les entreprises et elles ont ainsi provoqué une incroyable cascade de faillites.
La production industrielle a été complètement paralysée et a chuté de 50 % en trois ans. Le taux de chômage a explosé pour atteindre 25 % et le produit intérieur brut américain a lui-même enregistré une baisse de 33 %.
Misère et pauvreté
Les prix des denrées agricoles et des matières premières ont chuté de plus de 25 %. Les fermiers du « middle-west » américain ont à peu près tous fait faillite et ont migré dans le plus total dénuement vers les centres urbains.
On parle ici de conditions extrêmes. Il n’existait à l’époque aucun filet social capable d’alléger la misère humaine. La cohorte de millions de chômeurs vivait de mendicité et s’alimentait dans les soupes populaires improvisées.
Ce n’est qu’en 1933, avec l’élection de F.D. Roosevelt et la mise en oeuvre de son « new deal » que la situation a cessé de se détériorer. Pour enrayer la crise, le nouveau président a engagé le pays dans un vaste chantier: construction de nouveaux barrages, de nouvelles routes, d’hôpitaux et d’écoles.
L’État devait intervenir pour redonner du travail aux citoyens américains afin qu’ils se remettent à dépenser, ce qui s’est fait progressivement jusqu’en 1939. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et la mise en place d’une redoutable industrie militaire a alors mobilisé le pays. En 1945, la Grande dépression était devenue chose du passé.
Des paramètres bien différents
La Grande dépression des années 30 a été sans conteste la plus grave crise économique de l’histoire contemporaine. Elle ne s’est pas limitée aux seuls États-Unis, tous les pays européens et latino-américains ont été également foudroyés.
Une des raisons de cette détérioration généralisée a été la mise en place systématique de mesures protectionnistes. Tous les pays frappés par la crise tenaient absolument à protéger leurs rares industries qui opéraient toujours en érigeant des barrières tarifaires pour empêcher l’arrivée de produits étrangers concurrents. Un repli sur soi qui n’a fait qu’aggraver le problème.
Le ralentissement économique que nous observons aujourd’hui à l’échelle planétaire est lui aussi important, mais il n’y a aucune espèce de commune mesure entre le contexte des années 30 et celui qui nous préoccupe actuellement.
Même si les pronostics ont tendance à varier et à devenir plus sombres de jour en jour, le Fonds Monétaire International (FMI) prévoit toujours que l’économie mondiale devrait se contracter de 1 % en 2009, après avoir enregistré un taux de croissance respectable de 3,2 % en 2008.
Le FMI prévoit que l’économie des pays les plus industrialisés va connaître un repli moyen de 3 % à 3,5 % en 2009. Aux États-Unis, on anticipe toujours un taux de croissance négatif de 2,6 % pour l’année en cours.
Comme on le constate, aussi virulente que la crise puisse paraître, on est loin de la situation qui prévalait entre 1930 et 1933 lorsque le PIB américain a reculé de 33 % et que l’économie mondiale s’est contractée de quelque 15 %.
Au Canada, selon les dernières prévisions disponibles, on estime que l’activité économique devrait se replier de 2,5 % en 2009 avant de reprendre progressivement une voie ascendante en 2010. En 1930, le PIB canadien avait enregistré une chute de 13 %, faut-il rappeler.
Filet social
Autre paramètre qui ne supporte pas la comparaison, le chômage. Durant la crise des années 30, le taux de chômage était de 25 % aux États-Unis, il est aujourd’hui à 8,1 %. À l’époque, faut-il le rappeler, les chômeurs étaient des indigents qui ne pouvaient compter sur aucune autre assistance financière que la charité.
Aujourd’hui, même s’ils vivent un drame humain personnel déchirant, les chômeurs peuvent bénéficier de prestations d’aide qui leur permettent de survivre sans avoir à quémander. Ultimement, lorsqu’ils auront épuisé ces ressources, ils auront droit à une forme d’assistance sociale minimale.
Au Québec, on estime que la récession va entraîner la perte de 62 000 emplois en 2009. Le taux de chômage qui était tout juste sous la barre des 8 % devrait atteindre la marque des 9,1 % à la fin de l’année. Lors de la récession de 1982, le Québec affichait un taux de chômage de plus de 14 %, doit-on relativiser.
Stabilisation financière
Si la crise financière et boursière qui a plongé le monde en état de choc au cours de l’automne dernier a des origines semblables à celle de 1929, ses effets ne seront pas aussi durables que lors de la Grande dépression des années 30.
À l’époque, lorsque les banques ont fait massivement faillite et que les liquidités ont subitement et cruellement fait défaut, les autorités monétaires, tant américaines qu’européennes, sont restées totalement neutres. Le système, croyait-on à l’époque, allait se régénérer de lui-même.
L’histoire nous a démontré que l’action énergique des banques centrales est déterminante lorsque survient une crise. On l’a vu lors du krach boursier de 1987. Dès le jour qui a suivi le krach du 17 octobre, la Banque centrale américaine et les autres banques centrales européennes ont injecté massivement des liquidités dans le système pour permettre aux courtiers de payer leurs clients qui vendaient en panique.
Parallèlement, on a réduit de façon systématique les taux d’intérêt pour permettre un plus grand accès au crédit. Cette intervention musclée a permis de calmer le jeu et d’empêcher même l’avènement d’une récession que tous et chacun appréhendaient.
Lorsque la crise financière a éclaté cet automne, toutes les banques centrales ont coordonné leurs efforts pour en réduire le choc. On a injecté des centaines de milliards de dollars pour solidifier le bilan d’institutions financières sérieusement menacées de disparaître et on a mis les liquidités disponibles pour répondre à la demande des consommateurs et des entreprises.
Marchés boursiers : Le temps fait son œuvre
Mis à part le cas extrême de 1929, toutes les récessions d’après-guerre ont eu une durée de vie moyenne de 11 mois. L’actuelle récession sera vraisemblablement plus longue que la moyenne, mais elle ne devrait pas excéder l’année 2009, selon l’opinion générale des prévisionnistes.
Historiquement, les marchés boursiers anticipent de six mois la fin d’un cycle de contraction économique. C’est donc dire que les marchés devraient eux-mêmes retrouver de façon plus stable et durable un mode haussier à partir du deuxième semestre de l’année. Depuis 1950, la bourse américaine a enregistré 11 situations de marchés baissiers*, durant lesquelles l’indice S&P 500 a reculé de 32 % en moyenne. La durée de ces marchés négatifs a été de 12 mois en moyenne.
Lorsque les marchés mettent un terme à leur descente et se remettent à progresser, l’indice S&P 500 a historiquement réussi à produire un rendement moyen de 29,5 % en 12 mois et de 42,3 % en 24 mois. C’est donc dire qu’il faut habituellement compter deux ans avant que le marché récupère la presque totalité des pertes qu’il a enregistrées. Cet autre enseignement de l’histoire récente rappelle donc aux investisseurs que la patience est payante lorsqu’on laisse tout simplement le temps faire son oeuvre.
* pour les détails de ces 11 marchés baissiers, vous référer à notre article du Bulletin trimestriel de septembre 2008.