Pourquoi en avons-nous toujours plus pour notre argent dans une destination soleil ?
Après une longue hibernation, le printemps réveille en nous la soif de voyage. Rien de mieux qu’une destination soleil pour bien démarrer l’été. Ceci étant dit, le soleil aussi nous donne soif ! Vous avez certainement remarqué qu’une margarita est beaucoup moins chère sous les chauds rayons du soleil des tropiques qu’au Québec. En fait, il s’agit d’une régularité statistique : en dehors des lieux hautement fréquentés par les touristes, le prix des biens et services locaux est systématiquement plus faible dans les pays en voie de développement que dans les pays plus avancés. Ainsi, une Québécoise voyageant en Amérique du Sud constatera que son dollar possède un pouvoir d’achat beaucoup plus grand à cet endroit. Comment expliquer ce phénomène ?
Résoudre l’énigme du pouvoir d’achat
Pour résoudre l’énigme du pouvoir d’achat, il faut d’abord observer que les économies se divisent en deux secteurs d’activité distincts : l’un est exposé à la concurrence internationale alors que l’autre ne l’est pas. D’un côté, en général, le secteur manufacturier et celui des produits de base fabriquent des biens qui sont échangeables à l’échelle du globe. Ils sont donc exposés à la concurrence internationale. De l’autre côté, le secteur des services de proximité (comme la restauration, le spectacle et les soins personnels) échappe à une telle concurrence. La logique soutenant la détermination des prix varie donc d’un secteur à l’autre.
La détermination des prix dans le secteur échangeable à l’échelle mondiale
SI l’on détaille davantage, on constate que les ordinateurs, les téléphones intelligents, les motomarines et le lingot d’aluminium sont des exemples de produits exposés au commerce mondial, et que leur prix est déterminé par la concurrence internationale. Ces marchandises sont toutes soumises à la loi du prix unique (si l’on fait exception des politiques de restrictions au commerce et des techniques marketing visant à différencier les produits). Autrement dit, des biens identiques (ou très similaires) échangés de par le monde sont vendus au même prix, lorsque nous les convertissons dans une même devise. À titre d’exemple, en supposant des frais de transport négligeables, votre téléphone intelligent préféré coûtera 850 euros à Paris et devrait normalement se vendre autour de 1 250 dollars canadiens à Montréal au taux de change courant (soit 1 dollar canadien pour 0,68 euro en avril 2023).
Pour clarifier le fonctionnement de l’ajustement des prix, prenons l’exemple d’un vendeur de motomarines qui souhaite optimiser ses ventes. Les Européens sont prêts à payer 8 000 dollars canadiens pour le produit, alors que les Américains offrent 10 000 dollars. Il est clair que cet entrepreneur inondera le marché américain en priorité, avant de jeter son dévolu sur l’Europe. Pour qui sait lire les forces du marché, la hausse de l’offre du côté américain finira par induire une pression à la baisse sur la valeur des motomarines, alors qu’une quantité limitée en Europe y poussera les prix de celles-ci à la hausse. Ce fonctionnement disparait évidemment lorsque les motomarines se vendent 9 000 dollars canadiens en Europe comme en Amérique. C’est la loi du prix unique : le prix des biens et services échangeables est donc déterminé par le jeu de l’offre et de la demande sur un marché international concurrentiel.
La détermination des prix dans le secteur non échangeable
La détermination des prix des biens et services non échangeables dépend d’abord du pouvoir d’achat des travailleurs du secteur des biens et services échangeables. Cette affirmation peut sembler contre-intuitive et pourtant elle se vérifie.
En effet, en fonction de leur pays d’origine, les travailleurs du secteur échangeable ne reçoivent pas tous la même rémunération. Ceux des pays avancés reçoivent généralement un salaire beaucoup plus élevé que ceux qui font le même travail dans les pays en voie de développement. Mieux formés et mieux outillés, les travailleurs des pays avancés tendent à être plus efficaces. Ils peuvent donc recevoir une rémunération plus élevée sans mettre à mal la profitabilité de leur entreprise qui, rappelons-le, est soumise à la loi du prix unique. De la même façon, les entreprises du secteur échangeable opérant dans les pays en voie de développement ne peuvent, en l’absence de gain de productivité, offrir des salaires plus substantiels à leurs employés. Une telle décision mettrait à mal la profitabilité et la pérennité de l’entreprise qui fait aussi face à la loi du prix unique.
On constate donc que les travailleurs du secteur échangeable sont mieux rémunérés dans les pays avancés que dans les pays en voie de développement. Il ne reste qu’un pas à franchir pour expliquer le niveau des prix dans le secteur non échangeable : il dépend du pouvoir d’achat des travailleurs du secteur échangeable. Dans les pays avancés, les travailleurs ont un pouvoir d’achat important. Ils peuvent s’offrir un spectacle, un massage, une coupe de cheveux… et une margarita à 13 dollars ! Alors que les conditions sont différentes dans un pays en voie de développement. Les travailleurs du secteur échangeable peuvent aussi s’offrir un spectacle, un massage, une coupe de cheveux et une margarita, mais les prix qui leur seront proposés seront beaucoup plus faibles : c’est la conséquence directe de leur pouvoir d’achat plus limité.
C’est ainsi que, peu importe le pays, puisqu’ils ne sont pas directement exposés à la concurrence internationale, les prix des biens et services non échangeables sont déterminés par le pouvoir d’achat des travailleurs du secteur des biens et services échangeables.
Et alors, on la prend cette margarita ?
Les Québécois ont la chance de vivre dans un pays avancé. Nos secteurs manufacturier et de matières premières, tous deux échangeables, sont relativement concurrentiels et les salaires offerts demeurent intéressants. Il en découle un pouvoir d’achat élevé pour les travailleurs évoluant dans ces secteurs, pouvoir d’achat qui ruisselle vers les secteurs des biens et services non échangeables. En conséquence, l’ensemble des salaires versés au Québec se compare avantageusement à ceux d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, des continents en émergence.
Il n’est donc pas surprenant qu’une Québécoise voyageant en Amérique du Sud vers sa destination soleil préférée constate que son dollar y possède un pouvoir d’achat beaucoup plus grand, particulièrement si elle est prête à sortir des sentiers (touristiques) battus.
Il est vrai que les opérateurs locaux savent qu’elle a l’habitude de payer plus cher pour certains biens et services et qu’ils se feront un plaisir de lui faire payer le prix « canadien » au moment jugé opportun. Le concept de la « taxe touristique » existe bel et bien, ici comme ailleurs !
Quoiqu’il en soit, en adoptant le comportement des consommateurs locaux, il est possible de s’offrir une bonne margarita, cocktail national au Mexique, pour aussi peu que 50 pesos, soit 3,70 dollars canadiens. De retour au pays, il n’est pas rare que les foodies québécois payent jusqu’à 13 dollars canadiens pour le même cocktail dans leur restaurant mexicain préféré sur la rue Sainte-Catherine ou Grande Allée.
Nous vous souhaitons un bel été !