Prêt au conjoint : l’incertitude plane
Le prêt au conjoint était jusqu’à récemment un mécanisme pratique, simple et peu coûteux de fractionnement de revenus. Toutefois, une récente interprétation de cette stratégie par l’Agence du revenu du Canada crée des remous.
Les revenus des contribuables canadiens sont imposés selon une échelle de taux progressifs. Par conséquent, il est préférable, sur le plan fiscal, de diviser les revenus entre plusieurs membres d’une même famille plutôt que de les imposer entre les mains d’un seul. Autrement dit, pour un couple, il est plus avantageux fiscalement de s’imposer sur deux revenus de 50 000 $ que sur un seul de 100 000 $.
Dans ce contexte, une personne au revenu élevé pourrait être tentée de déposer ses économies dans des placements non enregistrés établis au nom de son conjoint ayant peu ou pas de revenus. Les lois fiscales prévoient toutefois que les revenus gagnés par une personne sur une somme d’argent qui lui a été donnée par son conjoint soient imposables au conjoint donateur (et non pas à celui qui détient le placement). Il s’agit de l’application du concept des « règles d’attribution » du revenu fiscal entre les conjoints.
Le prêt à taux prescrit
Cependant, ces règles d’attribution ne s’appliquent pas lorsqu’une personne consent un prêt d’argent à son conjoint afin qu’il achète des placements non enregistrés. Pour être admissible, le prêt doit porter intérêt au moins au taux prescrit par les autorités fiscales (celui en vigueur au jour du prêt). Ce dernier s’élève actuellement à 1 %*. Les intérêts annuels doivent être payés au conjoint prêteur au plus tard le 30e jour qui suit l’année visée (soit le 30 janvier de l’année suivante). Bien que les intérêts constituent une dépense déductible à l’encontre des revenus de placement pour le conjoint emprunteur, ils seront tout de même imposables au conjoint prêteur.
Prenons un exemple. Le 1er janvier 2017, Anna prête à son conjoint, Jean, une somme de 500 000 $. Jean utilise cet argent afin d’acquérir des placements qui lui procurent un rendement annuel d’environ 5 % en revenus d’intérêt. Le prêt est remboursable sur demande et porte intérêt (à Anna) au taux prescrit annuel de 1 % pour toute la durée du prêt.
Pour 2017, Jean paie l’impôt sur un revenu net d’intérêts de 20 000 $ (5 % x 500 000 $ = 25 000 $ – 5 000 $ (500 000 $ x 1 %)). Quant à Anna, elle paiera l’impôt sur un revenu d’intérêt de 5 000 $ en 2017 (même si les intérêts lui seront versés uniquement en janvier 2018).
Cette stratégie de fractionnement de revenus a toujours été recommandée par les fiscalistes, comptables et planificateurs financiers. Elle est simple à effectuer et peu coûteuse. Notons que, par mesure préventive, certains prêteurs exigent que leur conjoint leur accorde des garanties pour sécuriser le prêt ainsi qu’une procuration afin qu’ils puissent gérer les placements.
Une nouvelle interprétation à risque
Le 29 juin 2016, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a donné son interprétation de la loi en ce qui concerne cette stratégie fiscale (lettre numéro 2016-0642811E5). Elle a statué que, malgré la disposition législative d’exception dont fait l’objet le prêt au conjoint au taux prescrit, il se pourrait que les autorités fiscales imposent les revenus de placement entre les mains du prêteur. Ce serait le cas lorsqu’elles considèrent que le but principal du prêt (ou un de ses objectifs) consiste à réduire le fardeau fiscal. Selon l’ARC, cette conclusion dépendra de l’ensemble des faits pertinents relatifs à chaque cas. Il est à noter que cette interprétation peut s’appliquer tant aux prêts consentis avant le 29 juin 2016 qu’après cette date. Par conséquent, ce type de planification fiscale peut comporter des risques d’éventuelle contestation par le fisc.
Si vous avez effectué un tel prêt et qu’il est encore en vigueur, ou que vous envisagez de le faire, nous vous recommandons de consulter votre fiscaliste, comptable ou planificateur financier.
*Taux en vigueur au moment de la publication.