RECONCEVOIR LE FONDS DES GÉNÉRATIONS? HÂTONS-NOUS LENTEMENT!
Créé en 2006 à la suite de l’adoption de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, le Fonds des générations est un fonds de fiducie visant à réduire l’endettement du Québec.
La loi prévoit que, sur un horizon de placement de 20 ans, soit au 31 mars 2026, la dette représentant les déficits cumulés doit être ramenée à 17 % du produit intérieur brut (PIB) du Québec et la dette brute, à 45 % du PIB.
Le ministère des Finances définit la dette représentant les déficits cumulés comme la différence entre les passifs du gouvernement et l’ensemble de ses actifs, financiers et non financiers. En pratique, elle correspond à la somme de tous les déficits et surplus budgétaires accumulés dans le passé par le gouvernement du Québec.
Quant à la dette brute, elle représente la somme de la dette émise sur les marchés financiers et des engagements du gouvernement à l’égard des régimes de retraite et des autres avantages sociaux futurs de ses employés, moins le solde du Fonds des générations. Elle ne tient pas compte des actifs du gouvernement (immobilisations, placements, etc.). C’est au remboursement de cette dette que le Fonds est affecté exclusivement.
Le Fonds est financé par plusieurs sources, soit des redevances hydrauliques d’Hydro-Québec et des producteurs privés d’hydroélectricité; des sommes relatives à l’indexation du coût moyen de la fourniture de l’électricité patrimoniale; une contribution annuelle additionnelle d’Hydro-Québec; les revenus miniers que perçoit le gouvernement; la taxe spécifique sur les boissons alcooliques; les revenus provenant de la liquidation des biens non réclamés administrés par Revenu Québec; les revenus des placements du Fonds; une partie du produit des ventes d’actifs du gouvernement; des dons, des legs et d’autres contributions reçus par le ministre des Finances; et, finalement, la partie que le gouvernement détermine de toute somme qui, autrement, aurait été attribuée au fonds général du fonds consolidé du revenu.
Au lieu d’être consacrées directement à la diminution de la dette, les sommes générées par ces différentes sources de revenus sont déposées à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui les gère en suivant une politique de placement établie par le ministre des Finances, et ce, dans une optique de maximisation du rendement plutôt que de réduction des intérêts.
Une décennie plus tard : des objectifs en voie d’être atteints
Une décennie après la mise sur pied du Fonds, sa valeur était passée de 600 millions de dollars (600 M$) à 10,6 milliards (10,6 G$). L’année suivante, en 2017, une analyse de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (la Chaire) de l’Université de Sherbrooke concluait que l’effet de levier du Fonds portait des fruits, le Québec ayant déjà commencé à réduire son endettement. En conséquence, en laissant les sommes s’accumuler dans le Fonds comme au cours des années précédentes, le gouvernement était en bonne voie d’atteindre les objectifs fixés par la loi.
Les coauteurs de l’analyse ont calculé qu’en laissant fructifier l’argent jusqu’à l’échéance prévue de 2026, le poids de la dette brute atteindrait 41,8 % du PIB et la dette représentant les déficits cumulés, 15,8 %. Aussi, ont-ils recommandé au gouvernement de résister à la tentation de diminuer les versements au Fonds, même pour réduire les impôts des contribuables.
Quelques années plus tard : des objectifs atteints encore plus rapidement que prévu
Au début de 2020, la Chaire a publié une nouvelle analyse dans laquelle elle constatait que la bonne performance de l’économie du Québec permettrait d’atteindre l’objectif du ratio de la dette brute par rapport au PIB à la fin de l’exercice 2020-2021, et celui de la dette représentant les déficits cumulés, dès l’exercice 2023-2024. Elle estimait alors que les sommes accumulées dans le Fonds pourraient totaliser 30,3 G$ en 2025-2026 et qu’au rythme actuel, sa valeur comptable dépasserait 100 G$ en 2035-2036.
Comme les objectifs initiaux sont en voie d’être atteints plus rapidement que prévu, la Chaire a souhaité lancer une réflexion collective sur la base de quatre scénarios possibles, soit 1) fermer le Fonds une fois les objectifs atteints, 2) déterminer de nouveaux objectifs, 3) établir une valeur maximale du Fonds entraînant un remboursement partiel automatique de la dette à même sa valeur, ou 4) l’utiliser pour diminuer les pressions sur les finances publiques et assurer une équité intergénérationnelle.
Il était inévitable que la réussite indéniable du Fonds suscite maintes opinions divergentes et tranchées sur son utilisation. Par exemple, alors que des syndicats et Québec Solidaire plaident depuis plusieurs années pour son abolition pure et simple, des spécialistes réclament sa réaffectation à une relance verte et équitable.
Quelques mois plus tard : un retournement brutal
Malheureusement, la pandémie de la COVID-19 a forcé la « fermeture » de 40 % de l’économie en mars 2020 et provoqué par le fait même un choc économique qui a contraint le gouvernement à renouer avec les déficits budgétaires et à s’endetter de plusieurs milliards de dollars pour les prochaines années.
Cette situation a amené le Centre sur la productivité et la prospérité (le Centre) de HEC Montréal à suggérer, dans la plus récente édition de son bilan Productivité et prospérité au Québec, à remettre de nouveau en question la pertinence du Fonds et à prôner sa liquidation afin de réduire la dette et d’affecter les sommes qui y sont versées annuellement au déficit d’entretien des infrastructures qui s’accentuera avec la crise sanitaire actuelle.
Qualifiant le Fonds de « bas de laine inutile », le Centre est d’avis que le gouvernement doit prioriser ses interventions vers l’éducation, l’innovation et l’investissement plutôt que de s’éparpiller dans tous les secteurs d’activité avec des mesures passives.
De son côté, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) considère que la dette du Québec demeure sous contrôle en dépit des dépenses supplémentaires occasionnées par la pandémie de la COVID-19 et propose de réduire de 50 %, voire de 100 % les sommes versées au Fonds, du moins jusqu’en 2031.
Éviter un Fonds « dégénération »
Lors d’un symposium organisé à l’automne 2020 par la Chaire, le ministre des Finances du Québec a déclaré que l’outil d’équité intergénérationnelle qu’est le Fonds a contribué à l’effort de réduction de la dette du Québec et qu’il est là pour de bon. M. Girard a toutefois manifesté son intention de revoir la méthode de calcul du solde budgétaire du gouvernement, en particulier la façon dont les versements au Fonds sont pris en considération au moment d’établir ce solde. En effet, conformément à la loi constitutive du Fonds, celui-ci doit être calculé après les versements, mais s’il l’était avant, le portrait de la situation s’en trouverait substantiellement modifié.
Des voix ont exprimé des réserves sur le choix du moment (timing), en pleine crise sanitaire, pour modifier une loi aussi fondamentale que celle sur l’équilibre budgétaire. L’Institut du Québec abondait d’ailleurs dans le même sens, en octobre 2017, en qualifiant le Fonds des générations de stratégie payante et en insistant sur le strict respect du plan de réduction de la dette publique.
Au printemps 2018, nous avons fait écho à cette mise en garde ainsi qu’à la recommandation de la Chaire de continuer à laisser les sommes s’accumuler dans le Fonds sans aucun décaissement avant 2025-2026. Pourquoi? Parce que tous les scénarios étudiés concluaient à une atteinte plus ardue des objectifs de réduction de la dette advenant une crise financière ou une récession.
Malheureusement, cette crise financière est advenue, générée par une crise sanitaire sans précédent dans l’histoire du Québec; d’où l’importance de la mise en garde initiale : quelle que soit l’avenue que le gouvernement empruntera en ce qui concerne le Fonds des générations, la prudence – l’intelligence du courage – sera toujours de rigueur.